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une seule puissance qui, quoique passive, dirige leur mouvement et fixe leur position. Cette puissance est le moule intérieur du corps ; les molécules vivantes que l’animal ou le végétal tire des aliments ou de la sève s’assimilent à toutes les parties du moule intérieur de leur corps, elles le pénètrent dans toutes ses dimensions, elles y portent la végétation et la vie, elles rendent ce moule vivant et croissant dans toutes ses parties : la forme intérieure du moule détermine seulement leur mouvement et leur position pour la nutrition et le développement dans tous les êtres organisés[NdÉ 1].

Et lorsque ces molécules organiques vivantes ne sont plus contraintes par la puissance du moule intérieur, lorsque la mort fait cesser le jeu de l’organisation, c’est-à-dire la puissance de ce moule, la décomposition du corps suit, les molécules organiques, qui toutes survivent, se retrouvant en liberté dans la dissolution et la putréfaction des corps, passent dans d’autres corps aussitôt qu’elles sont pompées par la puissance de quelque autre moule ; en sorte qu’elles peuvent passer de l’animal au végétal, et du végétal à l’animal sans altération, et avec la propriété permanente et constante de leur porter la nutrition et la vie : seulement il arrive une infinité de générations spontanées dans cet intermède, où la puissance du moule est sans action, c’est-à-dire dans cet intervalle de temps pendant lequel les molécules organiques se trouvent en liberté dans la matière des corps morts et décomposés, dès qu’elles ne sont point absorbées par le moule intérieur des êtres organisés qui composent les espèces ordinaires de la nature vivante ou végétante ; ces molécules, toujours actives, travaillent à remuer la matière putréfiée, elles s’en approprient quelques particules brutes, et forment par leur réunion une multitude de petits corps organisés, dont les uns, comme les vers de terre, les champignons, etc., paraissent être des animaux ou des végétaux assez grands ; mais dont les autres, en nombre presque infini, ne se voient qu’au microscope ; tous ces corps n’existent que par une génération spontanée, et ils remplissent l’intervalle que la nature a mis entre la simple molécule organique vivante et l’animal ou le végétal ; aussi trouve-t-on tous les degrés, toutes les nuances imaginables dans cette suite, dans cette chaîne d’êtres qui descend de l’animal le mieux organisé à la molécule simplement organique : prise seule, cette molécule est fort éloignée de la nature de l’animal ; prises plusieurs ensemble, ces molécules vivantes en seraient encore tout aussi loin si elles ne s’appropriaient pas des particules brutes, et si elles ne les disposaient pas dans une certaine forme approchante de

  1. Aucun passage de l’œuvre de Buffon ne contient un exposé plus net de son opinion relativement à la constitution de la matière vivante et à ce qu’il appelle « les molécules organiques ». Pour lui, tous les êtres que l’on observe à l’aide du microscope font partie de ces molécules organiques et vivantes qui existent partout, qui servent à l’accroissement des organismes vivants et qui forment ces derniers en se réunissant. Il y a là, sans doute, sous une forme métaphysique, toute la théorie cellulaire avec la somme de vues erronées que devait entraîner l’ignorance de Buffon et de ses contemporains.