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En approfondissant cette idée, nous allons trouver aux végétaux et aux animaux un rapport avec les minéraux que nous ne soupçonnions pas : les sels et quelques autres minéraux sont composés de parties semblables entre elles et semblables au tout qu’elles composent ; un grain de sel marin est un cube composé d’une infinité d’autres cubes que l’on peut reconnaître distinctement au microscope[1] ; ces petits cubes sont eux-mêmes composés d’autres cubes qu’on aperçoit avec un meilleur microscope, et l’on ne peut guère douter que les parties primitives et constituantes de ce sel ne soient aussi des cubes d’une petitesse qui échappera toujours à nos yeux, et même à notre imagination. Les animaux et les plantes, qui peuvent se multiplier et se reproduire par toutes leurs parties, sont des corps organisés composés d’autres corps organiques semblables, dont les parties primitives et constituantes sont aussi organiques et semblables, et dont nous discernons à l’œil la quantité accumulée, mais dont nous ne pouvons apercevoir les parties primitives que par le raisonnement et par l’analogie que nous venons d’établir.

Cela nous conduit à croire qu’il y a dans la nature une infinité de parties organiques actuellement existantes, vivantes, et dont la substance est la même que celle des êtres organisés, comme il y a une infinité de particules brutes semblables aux corps bruts que nous connaissons, et que, comme il faut peut-être des millions de petits cubes de sel accumulés pour faire l’individu sensible d’un grain de sel marin, il faut aussi des millions de parties organiques semblables au tout pour former un seul des germes que contient

  1. « Hæ tàm parvæ quàm magnæ figuræ (salium) ex magno solùm numero minorum particularum quæ eamdem figuram habent, sunt conflatæ, sicuti mihi sæpè licuit observare, cùm aquam marinam aut communem in qua sal commune liquatum erat, intueor per microscopium, quòd ex ea prodeunt elegantes, parvæ ac quadrangulares figuræ adeò exiguæ, ut mille earum myriades magnitudinem arenæ crassioris non æquent. Quæ salis minutæ particulæ, quàm primùm oculis conspicio, magnitudine ab omnibus lateribus crescunt, suam tamen elegantem superficiem quadrangularem retinentes ferè… Figuræ hæ salinæ cavitate donatæ sunt, etc. » Voyez Leeuwenhoek, Arc. Nat., t. Ier, p. 3.

    pitre, de l’enchaînement de pensées par lequel il était arrivé à cette divination. Il rappelle d’abord que les végétaux, « les ormes, les saules, les groseillers, » se reproduisent par des parties ou bourgeons qui représentent le tout, en ont l’organisation sous une forme rudimentaire et peuvent se développer en un organisme tout à fait semblable à celui dont on les a détachés. Ce qu’il dit ensuite des vers et des polypes montre qu’il était au courant des expériences de Trembley qui, coupant un polype d’eau douce en deux, avait vu chacune des parties se développer en un animal nouveau ; de là à supposer, par suite d’une généralisation hardie, que tous les êtres vivants étaient formés d’une infinité « de parties similaires » et d’un « assemblage de germes ou de petits individus de la même espèce, lesquels peuvent tous se développer de la même façon, suivant les circonstances, et former de nouveaux touts composés comme le premier, » il n’y avait qu’un pas, un pas de géant, il est vrai, mais que Buffon était de taille à faire. Cependant, en généralisant par simple intuition et en bâtissant sur le sable mouvant d’une science insuffisante, il s’exposait à commettre plus d’une faute. C’est en effet ce qui lui arriva, et tout ce chapitre est un mélange de vues très justes et de conceptions chimériques. (Voyez mon Introduction.)