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il prend de la nourriture par la bouche[NdÉ 1], puisqu’on trouve dans son estomac une liqueur semblable à celle que contient l’amnios, de l’urine dans la vessie et des excréments dans les intestins ; et comme on ne trouve ni urine, ni meconium, c’est le nom de ces excréments, dans la capacité de l’amnios, il y a tout lieu de croire que le fœtus ne rend point d’excréments[NdÉ 2], d’autant plus qu’on en a vu naître sans avoir l’anus percé, et sans qu’il y eût pour cela une plus grande quantité de meconium dans les intestins.

Quoique le fœtus ne tienne pas immédiatement à la matrice, qu’il n’y soit attaché que par de petits mamelons extérieurs à ses enveloppes, qu’il n’y ait aucune communication du sang de la mère avec le sien[NdÉ 3], qu’en un mot il soit à plusieurs égards aussi indépendant de la mère qui le porte que l’œuf l’est de la poule qui le couve, on a prétendu que tout ce qui affectait la mère affectait aussi le fœtus ; que les impressions de l’une agissaient sur le cerveau de l’autre, et on a attribué à cette influence imaginaire les ressemblances, les monstruosités, et surtout les taches qu’on voit sur la peau. J’ai examiné plusieurs de ces marques, et je n’ai jamais aperçu que des taches qui m’ont paru causées par un dérangement dans le tissu de la peau. Toute tache doit nécessairement avoir une figure qui ressemblera, si l’on veut, à quelque chose, mais je crois que la ressemblance que l’on trouve dans celles-ci dépend plutôt de l’imagination de ceux qui les voient que de celle de la mère. On a poussé sur ce sujet le merveilleux aussi loin qu’il pouvait aller : non seulement on a voulu que le fœtus portât les représentations réelles des appétits de sa mère, mais on a encore prétendu que par une sympathie singulière les taches qui représentaient des fruits, par exemple, des fraises, des cerises, des mûres, que la mère avait désiré de manger, changeaient de couleur ; que leur couleur devenait plus foncée dans la saison où ces fruits entraient en maturité. Avec un peu plus d’attention et moins de prévention, l’on pourrait voir cette couleur des taches de la peau changer bien plus souvent ; ces changements doivent arriver toutes les fois que le mouvement du sang est accéléré, et cet effet est tout ordinaire dans le temps où la chaleur de l’été fait mûrir les fruits. Ces taches sont toujours ou jaunes, ou rouges, ou noires, parce que le sang donne ces teintes de couleur à la peau lorsqu’il entre en trop grande quantité dans les vaisseaux dont elle est parsemée : si ces taches ont pour cause l’appétit de la mère, pourquoi n’ont-elles pas des formes et des couleurs aussi variées que les objets de ces appétits ? Que de figures singulières on verrait si les vains désirs de la mère étaient écrits sur la peau de l’enfant !

  1. C’est une erreur. Le fœtus ne se nourrit que par le placenta, ainsi que je l’ai montré dans une note précédente.
  2. Le fœtus, en effet, ne rend pas d’excréments.
  3. J’ai indiqué dans une note précédente la nature des relations qui existent, par l’intermédiaire du placenta, entre le fœtus et la mère.