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temps les uns après les autres, on en tirera un nouvel argument contre l’existence des œufs dans les vivipares ; car si les femelles des animaux vivipares contiennent des œufs comme les poules, pourquoi n’y en a-t-il pas plusieurs de fécondés en même temps, dont les uns produiraient des fœtus au bout de neuf mois, et les autres quelque temps après ? et lorsque les femmes font deux ou trois enfants, pourquoi viennent-ils au monde tous dans le même temps ? Si ces fœtus se produisaient au moyen des œufs, ne viendraient-ils pas successivement les uns après les autres, selon qu’ils auraient été formés ou excités par la semence du mâle dans des œufs plus ou moins avancés, ou plus ou moins parfaits ? et les superfétations ne seraient-elles pas aussi fréquentes qu’elles sont rares, aussi naturelles qu’elles paraissent être accidentelles[NdÉ 1] ?

On ne peut pas suivre le développement du fœtus humain dans la matrice, comme on suit celui du poulet dans l’œuf ; les occasions d’observer sont rares, et nous ne pouvons en savoir que ce que les anatomistes, les chirurgiens et les accoucheurs en ont écrit : c’est en rassemblant toutes les observations particulières qu’ils ont faites, et en comparant leurs remarques et leurs descriptions, que nous allons faire l’histoire abrégée du fœtus humain.

Il y a grande apparence qu’immédiatement après le mélange des deux liqueurs séminales, tout l’ouvrage de la génération est dans la matrice sous la forme d’un petit globe ; puisque l’on sait par les observations des anatomistes que, trois ou quatre jours après la conception, il y a dans la matrice une bulle ovale qui a au moins six lignes sur son grand diamètre et quatre lignes sur le petit ; cette bulle est formée par une membrane extrêmement fine qui renferme une liqueur limpide et assez semblable à du blanc d’œuf. On peut déjà apercevoir dans cette liqueur quelques petites fibres réunies, qui sont les premières ébauches du fœtus ; on voit ramper sur la surface de la bulle un lacis de petites fibres qui occupe la moitié de la superficie de cet ovoïde depuis l’une des extrémités du grand axe jusqu’au milieu, c’est-à-dire jusqu’au cercle formé par la révolution du petit axe : ce sont là les premiers vestiges du placenta.

Sept jours après la conception, l’on peut distinguer à l’œil simple les pre-

  1. Il est bien remarquable qu’un esprit aussi hardiment généralisateur que Buffon montre tant de répugnance à admettre l’existence des œufs chez les animaux vivipares, alors qu’il en constate la présence chez tous les autres animaux. Sa répugnance est telle qu’il entasse arguments sur arguments, sans trop en peser la valeur, pour arriver à se convaincre lui-même. C’est ce qu’il fait dans ce passage. Si, chez les poules, un grand nombre d’œufs peuvent être fécondés en même temps, cela tient à ce qu’un grand nombre arrivent simultanément à la maturité. Chez les mammifères, au contraire, il n’y a, d’habitude, qu’un petit nombre d’œufs parvenant à la maturité à la même époque. Chez la femme il n’y en a même d’ordinaire qu’un seul. En second lieu, chez les ovipares, l’embryon ne commençant à se développer que sous l’influence de la chaleur produite par l’incubation, son développement peut être retardé, tandis que, chez les vivipares, il se forme aussitôt après la fécondation.