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mâle ou femelle, peut seule produire quelque chose[NdÉ 1]. Je serais, par exemple, fort tenté de croire que les filles peuvent faire des môles sans avoir eu de communication avec le mâle, comme les poules font des œufs sans avoir vu le coq ; je pourrais appuyer cette opinion de plusieurs observations qui me paraissent au moins aussi certaines que celles que je viens de citer, et je me rappelle que M. de la Saône, médecin et anatomiste de l’Académie des sciences, a fait un Mémoire sur ce sujet, dans lequel il assure que des religieuses bien cloîtrées avaient fait des môles : pourquoi cela serait-il impossible, puisque les poules font des œufs sans communication avec le coq, et que dans la cicatricule de ces œufs on voit, au lieu d’un poulet, une môle avec des appendices ? L’analogie me paraît avoir assez de force pour qu’on puisse au moins douter et suspendre son jugement. Quoi qu’il en soit, il est certain[NdÉ 2] qu’il faut le mélange des deux liqueurs pour former un animal, que ce mélange ne peut venir à bien que quand il se fait dans la matrice ou bien dans les trompes de la matrice, où les anatomistes ont trouvé quelquefois des fœtus, et qu’il est naturel d’imaginer que ceux qui ont été trouvés hors de la matrice et dans la cavité de l’abdomen sont sortis par l’extrémité des trompes ou par quelque ouverture qui s’est faite par accident à la matrice, et que ces fœtus ne sont pas tombés du testicule, où il me paraît fort difficile qu’ils puissent se former, parce que je regarde comme une chose presque impossible que la liqueur séminale du mâle puisse remonter jusque-là. Leeuwenhoek a supputé la vitesse du mouvement de ces prétendus animaux spermatiques, et il a trouvé qu’ils pouvaient faire quatre ou cinq pouces de chemin en quarante minutes : ce mouvement serait plus que suffisant pour parvenir du vagin dans la matrice, de la matrice dans les trompes et des trompes dans les testicules en une heure ou deux, si toute la liqueur avait ce même mouvement ; mais comment concevoir que les molécules organiques qui sont en mouvement dans cette liqueur du mâle et dont le mouvement cesse aussitôt que le liquide dans lequel elles se meuvent vient à leur manquer, comment concevoir, dis-je, que ces molécules puissent arriver jusqu’aux testicules, à moins que d’admettre que la liqueur elle-même y arrive et les y porte ? Ce mouvement de progression, qu’il faut supposer dans la liqueur même, ne peut être produit par celui des molécules organiques qu’elle contient : ainsi, quelque activité que l’on suppose à ces molécules, on ne voit pas comment elles pourraient arriver aux testicules et y former un fœtus, à moins que par

  1. Buffon « imagine » dans ce chapitre une foule d’erreurs qu’il eût évitées en s’abstenant de créer des hypothèses de toutes pièces et sans aucun fondement, contrairement à sa propre méthode.
  2. L’incertitude dans laquelle se trouvait Buffon se manifeste ici bien nettement. Dix lignes plus haut il dit qu’il est porté « à imaginer que dans de certaines circonstances et dans de certains états la liqueur séminale d’un individu mâle ou femelle peut seule produire quelque chose ». Et maintenant il dit : « Il est certain qu’il faut le mélange des deux liqueurs pour produire un animal. »