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de sorte qu’un renard sera une espèce différente d’un chien, si en effet par la copulation d’un mâle et d’une femelle de ces deux espèces il ne résulte rien, et quand même il en résulterait un animal mi-parti, une espèce de mulet, comme ce mulet ne produirait rien, cela suffirait pour établir que le renard et le chien ne seraient pas de la même espèce, puisque nous avons supposé que, pour constituer une espèce, il fallait une production continue, perpétuelle, invariable, semblable, en un mot, à celle des autres animaux. Dans les plantes on n’a pas le même avantage, car, quoiqu’on ait prétendu y reconnaître des sexes[NdÉ 1] et qu’on ait établi des divisions de genres par les parties de la fécondation, comme cela n’est ni aussi certain ni aussi apparent que dans les animaux, et que d’ailleurs la production des plantes se fait de plusieurs autres façons, où les sexes n’ont point de part et où les parties de la fécondation ne sont pas nécessaires, on n’a pu employer avec succès cette idée, et ce n’est que sur une analogie mal entendue qu’on a prétendu que cette méthode sexuelle devait nous faire distinguer toutes les espèces différentes de plantes ; mais nous renvoyons l’examen du fondement de ce système à notre histoire des végétaux.

Le nombre des espèces d’animaux est donc plus grand que celui des espèces de plantes, mais il n’en est pas de même du nombre d’individus dans chaque espèce : dans les animaux, comme dans les plantes, le nombre d’individus est beaucoup plus grand dans le petit que dans le grand[NdÉ 2] ; l’espèce des

    que Buffon et, après lui, beaucoup de naturalistes ont cherché dans la faculté de reproduction n’a donc pas plus de valeur que tous les autres. (Voir mon Introduction.) [Note de Wikisource : C’est cependant cette définition de l’espèce qui est encore la plus communément acceptée, depuis qu’elle a été réintroduite par Ernst Mayr en 1942. Il faut noter qu’il semble que Buffon soit le premier à formuler cette définition, ses contemporains fondant pour la plupart la distinction en espèces sur des critères morphologiques.]

  1. À l’époque où Buffon écrivait cette phrase, les sexes des végétaux inférieurs étaient en partie connus. Les traits principaux de leur organisation avaient été indiqués par Linné, qui en avait fait la base de sa classification du règne végétal. Quoi qu’en dise Buffon et quelque peu de valeur que nous puissions accorder aujourd’hui au système sexuel de Linné, il n’en est pas moins vrai que ce système artificiel constituait un progrès sur ceux qui avaient été employés par les botanistes antérieurs.
  2. L’observation que fait ici Buffon est exacte, mais il est nécessaire d’en préciser le sens mieux qu’il ne le fait lui-même. Il est bien démontré que les végétaux et les animaux de petite taille se reproduisent beaucoup plus rapidement que ceux de grande taille ; il est également démontré qu’à dimensions comparables, les végétaux se multiplient davantage que les animaux, mais il importe de rechercher si la rapidité de la multiplication tient à la taille de l’organisme ou à d’autres conditions. On admet généralement, aujourd’hui, qu’elle dépend du nombre plus ou moins considérable d’ennemis qu’a chaque espèce végétale ou animale. Les individus appartenant à des espèces qui ont beaucoup d’ennemis, qui ne produisent qu’un petit nombre de rejetons, voient presque fatalement succomber leur descendance, tandis que les individus à facultés génésiques puissantes, laissent une postérité assez nombreuse pour qu’une partie au moins échappe aux ennemis de l’espèce. Si ces faits se reproduisent sans cesse, il est bien évident que, par suite d’une sélection inconsciente, chaque espèce finira par ne présenter que des individus ayant une puissance de reproduction proportionnée à la puissance de destruction des ennemis de cette espèce. (Voyez de Lanessan, Le Transformisme, p. 470.)

    Or, il suffit de considérer avec quelque attention la nature et le nombre des ennemis de quelques espèces animales et végétales, pour s’assurer, d’abord, que les végétaux ont beaucoup plus d’ennemis que les animaux, et, ensuite, que les petites espèces animales ou végétales sont exposées à beaucoup plus de dangers que les grandes. On comprend ainsi pourquoi,