Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ration des animaux et des végétaux n’est pas univoque ; il y a peut-être autant d’êtres, soit vivants, soit végétants, qui se produisent par l’assemblage fortuit des molécules organiques qu’il y a d’animaux ou de végétaux qui peuvent se produire par une succession constante de génération ; c’est à la production de ces espèces d’êtres qu’on doit appliquer l’axiome des anciens : Corruptio unius, generatio alterius. La corruption, la décomposition des animaux et des végétaux produit une infinité de corps organisés vivants et végétants : quelques-uns, comme ceux de la laite du calmar, ne sont que des espèces de machines, mais des machines qui, quoique très simples, sont actives par elles-mêmes ; d’autres, comme les animaux spermatiques, sont des corps qui par leur mouvement semblent imiter les animaux ; d’autres imitent les végétaux par leur manière de croître et de s’étendre ; il y en a d’autres, comme ceux du blé ergoté, qu’on peut alternativement faire vivre et mourir aussi souvent qu’on le veut, et l’on ne sait à quoi les comparer ; il y en a d’autres, même en grande quantité, qui sont d’abord des espèces de végétaux, qui ensuite deviennent des espèces d’animaux, lesquels redeviennent à leur tour des végétaux, etc. Il y a grande apparence que plus on observera ce nouveau genre d’êtres organisés, et plus on y trouvera de variétés, toujours d’autant plus singulières pour nous qu’elles sont plus éloignées de nos yeux et de l’espèce des autres variétés que nous présente la nature.

Par exemple, l’ergot ou le blé ergoté, qui est produit par une espèce d’altération ou de décomposition de la substance organique du grain[NdÉ 1], est composé d’une infinité de filets ou de petits corps organisés, semblables par la figure à des anguilles ; pour les observer au microscope, il n’y a qu’à faire infuser le grain pendant dix à douze heures dans de l’eau et séparer les filets qui en composent la substance, on verra qu’ils ont un mouvement de flexion et de tortillement très marqué, et qu’ils ont en même temps un léger mouvement de progression qui imite en perfection celui d’une anguille qui se tortille ; lorsque l’eau vient à leur manquer, ils cessent de se mouvoir ; en y ajoutant de la nouvelle eau, leur mouvement recommence, et si on garde cette matière pendant plusieurs jours, pendant plusieurs mois, et même pendant plusieurs années, dans quelque temps qu’on la prenne pour l’observer on y verra les mêmes petites anguilles, dès qu’on la mêlera avec de l’eau, les mêmes filets en mouvement qu’on y aura vus la première fois ; en sorte qu’on peut agir avec ces petites machines aussi souvent et aussi longtemps qu’on le veut, sans les détruire et sans qu’elles perdent rien de leur force ou de leur activité. Ces petits corps seront, si l’on veut, des espèces de machines qui se mettent en mouvement dès qu’elles sont plongées dans un fluide. Ces filets s’ouvrent quelquefois comme les filaments

  1. C’est un état particulier d’un Champignon.