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pas pompée par les vaisseaux qui servent à la nutrition du corps de l’animal ; il est assez probable qu’alors cette substance productive, qui est toujours active et qui tend à s’organiser, produit des vers et de petits corps organisés de différente espèce, suivant les différents lieux, les différentes matrices où elle se trouve rassemblée. Nous aurons dans la suite occasion d’examiner plus en détail la nature de ces vers et de plusieurs autres animaux qui se forment de la même façon, et de faire voir que leur production est très différente de ce que l’on a pensé jusqu’ici.

Lorsque cette matière organique, qu’on peut regarder comme une semence universelle, est rassemblée en assez grande quantité, comme elle l’est dans les liqueurs séminales et dans la partie mucilagineuse de l’infusion des plantes, son premier effet est de végéter ou plutôt de produire les êtres végétants[NdÉ 1] ; ces espèces de zoophytes se gonflent, se boursouflent, s’étendent, se ramifient et produisent ensuite des globules, des ovales et d’autres petits corps de différente figure, qui ont tous une espèce de vie animale, un mouvement progressif, souvent très rapide, et d’autres fois plus lent ; ces globules eux-mêmes se décomposent, changent de figure et deviennent plus petits, et à mesure qu’ils diminuent de grosseur la rapidité de leur mouvement augmente ; lorsque le mouvement de ces petits corps est fort rapide, et qu’ils sont eux-mêmes en très grand nombre dans la liqueur, elle s’échauffe à un point même très sensible, ce qui m’a fait penser que le mouvement et l’action de ces parties organiques des végétaux et des animaux pourraient bien être la cause de ce que l’on appelle fermentation.

J’ai cru qu’on pouvait présumer aussi que le venin de la vipère et les autres poisons actifs, même celui de la morsure d’un animal enragé, pourraient bien être cette matière active trop exaltée ; mais je n’ai pas encore eu le temps de faire les expériences que j’ai projetées sur ce sujet, aussi bien que sur les drogues qu’on emploie dans la médecine ; tout ce que je puis assurer aujourd’hui, c’est que toutes les infusions des drogues les plus actives fourmillent de corps en mouvement, et que ces corps s’y forment en beaucoup moins de temps que dans les autres substances.

Presque tous les animaux microscopiques sont de la même nature que les corps organisés qui se meuvent dans les liqueurs séminales et dans les infusions des végétaux et de la chair des animaux ; les anguilles de la farine, celles du blé ergoté, celles du vinaigre, celles de l’eau qui a séjourné sur des gouttières de plomb, etc., sont des êtres de la même nature que les premiers, et qui ont une origine semblable ; mais nous réservons pour l’histoire particulière des animaux microscopiques les preuves que nous pourrions en donner ici.


  1. Buffon se montre ici formellement partisan de la théorie de la génération spontanée, mais il l’applique à des êtres qui ne présentent pas ce phénomène, et il l’explique d’une façon erronée en supposant que les êtres ainsi produits résultent de la condensation d’une « matière organique » qui serait répandue dans toutes les parties de l’univers. (Voyez mon Introduction.) [Note de Wikisource : Disons tout net, pour dissiper toute équivoque, que la génération spontanée n’existe pas, et que les vers, les infusoires, etc., ne se forment que par la reproduction d’animaux de même espèce déjà présents.]