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est étendue, pesante, impénétrable comme tout le reste de la matière, mais son économie est toute différente. Le minéral n’est qu’une matière brute, inactive, insensible, n’agissant que par la contrainte des lois de la mécanique, n’obéissant qu’à la force généralement répandue dans l’univers, sans organisation, sans puissance, dénuée de toutes facultés, même de celle de se reproduire, substance informe, faite pour être foulée aux pieds par les hommes et les animaux, laquelle, malgré le nom de métal précieux, n’en est pas moins méprisée par le sage, et ne peut avoir qu’une valeur arbitraire, toujours subordonnée à la volonté et dépendante de la convention des hommes. L’animal réunit toutes les puissances de la nature, les forces qui l’animent lui sont propres et particulières[NdÉ 1] : il veut, il agit, il se détermine, il opère, il communique par ses sens avec les objets les plus éloignés ; son individu est un centre où tout se rapporte, un point où l’univers entier se réfléchit, un monde en raccourci : voilà les rapports qui lui sont propres ; ceux qui lui sont communs avec les végétaux sont les facultés de croître, de se développer, de se reproduire et de se multiplier.

La différence la plus apparente entre les animaux et les végétaux paraît être cette faculté de se mouvoir et de changer de lieu, dont les animaux sont doués, et qui n’est pas donnée aux végétaux : il est vrai que nous ne connaissons aucun végétal qui ait le mouvement progressif, mais nous voyons plusieurs espèces d’animaux, comme les huîtres, les galle-insectes, etc., auxquelles ce mouvement paraît avoir été refusé ; cette différence n’est donc pas générale et nécessaire.

Une différence plus essentielle pourrait se tirer de la faculté de sentir, qu’on ne peut guère refuser aux animaux, et dont il semble que les végétaux soient privés ; mais ce mot sentir renferme un si grand nombre d’idées qu’on ne doit pas le prononcer avant que d’en avoir fait l’analyse ; car, si par sentir nous entendons seulement faire une action de mouvement à l’occasion d’un choc ou d’une résistance, nous trouverons que la plante appelée sensitive est capable de cette espèce de sentiment, comme les animaux ; si au contraire on veut que sentir signifie apercevoir et comparer des perceptions, nous ne sommes pas sûrs que les animaux aient cette espèce de sentiment ; et si nous accordons quelque chose de semblable aux chiens, aux éléphants, etc., dont les actions semblent avoir les mêmes causes que les nôtres, nous le refuserons à une infinité d’espèces d’animaux, et surtout à ceux qui nous paraissent être immobiles et sans action. Si l’on voulait que les huîtres, par exemple, eussent du sentiment comme les chiens, mais à un degré fort inférieur, pourquoi n’accorderait-on pas aux végétaux ce même sentiment dans un degré encore au-dessous ? Cette différence entre

  1. Voir la partie de notre Introduction relative aux relations des animaux avec les végétaux. Nous y reprenons la question débattue ici par Buffon, en tenant compte des données fournies par la science moderne.