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les eaux de la mer parviennent aussi dans les foyers des volcans et que la flamme est comme l’eau conductrice de l’électricité[1], elles communiquent une grande quantité de fluide électrique aux matières enflammées et électrisées en moins ; ce qui produit de nouvelles foudres, et cause d’autres secousses et des explosions qui bouleversent et entrouvrent la surface de la terre.

De plus, les substances vitreuses qui forment les parois des cavités des volcans, et qui ont reçu une quantité de fluide électrique proportionnée à la chaleur qui les a pénétrées, s’en trouvent surchargées à mesure qu’elles se refroidissent : elles lancent de nouvelles foudres contre les matières enflammées, et produisent de nouvelles secousses qui se propagent à des distances plus ou moins grandes, suivant la disposition des matières conduc-

  1. « Il y a environ vingt ans que le nommé Aubert, faïencier à la tour d’Aigues, étant occupé à cuire une fournée de faïence, vit, avec le plus grand étonnement, le feu s’éteindre dans l’instant même, et passer d’un feu de cerise à l’obscurité totale. Le four était allumé depuis plus de vingt heures, et la vitrification de l’émail des pièces était déjà avancée ; il fit tous ses efforts pour rallumer le feu et achever sa cuite, mais inutilement ; il fut obligé de l’abandonner.

    » Je fus tout de suite averti de cet accident ; je me transportai à sa fabrique, où je vis ce four, effectivement obscur, conservant encore toute sa chaleur.

    » Il y avait eu ce jour-là, vers les trois heures après midi, un orage duquel partit le coup de tonnerre qui avait produit l’effet dont je viens de parler. L’on avait vu du dehors la foudre ; le faïencier avait entendu un coup qui n’avait rien d’extraordinaire, sans apercevoir l’éclair ni la moindre clarté ; rien n’était dérangé dans la chambre du four, ni au toit. Le coup de tonnerre était entré par la gueule de loup, faite pour laisser échapper la fumée, et placée perpendiculairement sur le four, avec une ouverture de plus de dix pieds carrés.

    » Curieux de voir ce qui s’était passé dans l’intérieur du four, j’assistai à son ouverture deux jours après ; il n’y avait rien de cassé, ni même de dérangé ; mais l’émail appliqué sur toutes les pièces était entièrement enfumé et tacheté partout de points blancs et jaunes, sans doute dus aux parties métalliques qui n’avaient point eu le temps d’entrer en fusion.

    » Il est à croire que la foudre avait passé à portée du feu qui l’avait attirée et absorbée, sans qu’elle eût eu le temps ni le pouvoir d’éclater.

    » Mais, pour connaître la force de cet effet, il est nécessaire d’être instruit de la forme des fours en usage dans nos provinces, lesquels font une masse de feu bien plus considérable que ceux des autres pays, parce qu’étant obligé d’y cuire avec les fagots ou branches de pins ou de chênes verts, qui donnent un feu extrêmement ardent, on est forcé d’écarter le foyer du dépôt de la marchandise.

    » La flamme parcourt dans ces fours plus de six toises de longueur. Ils sont partagés en trois pièces : le corps du four, relevé sur le terrain, y est construit entre deux voûtes, le dessous est à moitié enterré, pour mieux conserver la chaleur, et il est précédé d’une voûte qui s’étend jusqu’à la porte par laquelle l’on jette les fagots au nombre de trois ou quatre à la fois. On a l’attention de laisser brûler ces fagots sans en fournir de nouveaux, jusqu’à ce que la flamme, après avoir circulé dans tout le corps et s’être élevée plus d’un pied au sommet du four, soit absolument tombée.

    » Le four dans lequel tomba le tonnerre est de huit pieds de largeur en carré, sur environ dix pieds de hauteur : le dessous du four a les mêmes dimensions, mais il est élevé seulement de six pieds. On l’emploie à cuire des biscuits et le massicot pour le blanc de la fournée suivante : quant à la gorge du four, elle est aussi de six pieds de haut, mais de largeur inégale, puisque le four n’a pas quatre pieds de largeur à son ouverture. Il est donc aisé de conclure que la force, qui put en un seul instant anéantir une pareille masse ignée, dut être d’une puissance étonnante. » (Extrait d’une lettre de M. de la Tour d’Aigues, président à mortier au parlement de Provence, écrite à M. Daubenton, garde du Cabinet du Roi, de l’Académie des sciences, etc.)