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l’attraction et l’impulsion, qui n’est que la répulsion : la première également répartie et toujours subsistante dans la matière, et la seconde variable, occasionnelle et dépendante de la première. Autant l’attraction maintient la cohérence et la dureté des corps, autant l’impulsion tend à les désunir et à les séparer. Ainsi, toutes les fois que les corps ne sont pas brisés par le choc, et qu’ils sont seulement comprimés, l’attraction, qui fait le lien de la cohérence, rétablit les parties dans leur première situation, en agissant en sens contraire, par répulsion, avec autant de force que l’impulsion avait agi en sens direct ; c’est ici, comme en tout, une réaction égale à l’action : on ne peut donc pas rapporter à l’impulsion les effets de l’attraction universelle ; mais c’est au contraire cette attraction générale qui produit, comme première cause, tous les phénomènes de l’impulsion.

En effet, doit-on jamais perdre de vue les bornes de la faculté que nous avons de communiquer avec la nature ? Doit-on se persuader que ce qui ne tombe pas sous nos sens puisse se rapporter à ce que nous voyons ou palpons ? L’on ne connaît les forces qui animent l’univers que par le mouvement et par ses effets : ce mot même de forces ne signifie rien de matériel et n’indique rien de ce qui peut affecter nos organes, qui cependant sont nos seuls moyens de communication avec la nature. Ne devons-nous pas renoncer dès lors à vouloir mettre au nombre des substances matérielles ces forces générales de l’attraction et de l’impulsion primitive, en les transformant, pour aider notre imagination, en matières subtiles, en fluides élastiques, en substances réellement existantes, et qui, comme la lumière, la chaleur, le son et les odeurs devraient affecter nos organes ; car ces rapports avec nous sont les seuls attributs de la matière que nous puissions saisir, les seuls que l’on doive regarder comme des agents mécaniques, et ces agents eux-mêmes, ainsi que leurs effets, ne dépendent-ils pas, plus ou moins, et toujours, de la force primitive, dont l’origine et l’essence nous seront à jamais inconnues, parce que cette force en effet n’est pas une substance, mais une puissance qui anime la matière ?

Tout ce que nous pouvons concevoir de cette puissance primitive d’attraction, et de l’impulsion ou répulsion qu’elle produit, c’est que la matière n’a jamais existé sans mouvement[NdÉ 1], car l’attraction étant essentielle à tout atome matériel, cette force a nécessairement produit du mouvement toutes les fois que les parties de la matière se sont trouvées séparées ou éloignées les unes des autres ; elles ont dès lors été forcées de se mouvoir et

    prochent, et le ressort se rétablit. Si, au contraire, par une pression trop forte, on écarte les parties cohérentes au point de les faire sortir de leur sphère d’attraction, le ressort se rompt, parce que la force de la compression a été plus grande que celle de la cohérence, c’est-à-dire plus grande que celle de l’attraction mutuelle qui réunit ces parties. Le ressort ne peut donc s’exercer qu’autant que les parties de la matière ont de la cohérence, c’est-à-dire autant qu’elles sont unies par la force de leur attraction mutuelle, et par conséquent le ressort en général, qui peut seul produire l’impulsion, et l’impulsion elle-même, se rapportent à la force d’attraction, et en dépendent comme un effet particulier d’un effet général. » Voyez aussi le volume IIe, p. 213 et suiv.

  1. Dans ce passage, Buffon formule en termes très précis une grande pensée : « la matière n’a jamais existé sans mouvement… le mouvement est donc aussi ancien que la matière. » Il aurait pu ajouter : « Le mouvement n’a jamais existé sans la matière. » Il est d’ailleurs facile de s’assurer que ce corollaire était présent à son esprit quand il écrivait les pages remarquables qui figurent au début de son Traité de l’aimant. Il dit un peu plus haut : « L’on ne connaît les forces qui animent l’univers que par le mouvement et par ses effets ; » et il s’empresse d’ajouter : « Ce mot même de forces ne signifie rien de matériel, et n’indique rien de ce qui peut affecter nos organes, qui cependant sont nos seuls moyens de communication avec la nature. » N’est-il pas bien évident que Buffon considère ici le mouvement comme une simple propriété nécessairement inhérente à la matière, sans laquelle cette dernière ne se montre jamais à nous et qui n’existe pas en dehors de la matière ?