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M. Monnet en a découvert en France[1], qui paraît être de la même nature et pourrait servir aux peintres, comme la terre de Cologne dont ils font grand usage.


ÉMERIL

Il y a deux sortes d’émerils[NdÉ 1], l’un attirable et l’autre insensible à l’aimant : le premier est un quartz ou un jaspe mêlé de particules ferrugineuses et magnétiques ; l’émeril rouge de Corse et l’émeril gris, qui sont attirables à l’aimant, peuvent être mis au nombre des mines primordiales formées par le feu primitif : la seconde sorte d’émeril, et c’est la plus commune, n’est point attirable à l’aimant, quoiqu’elle contienne peut-être plus de fer que la première : le fond de sa substance est une matière quartzeuse de seconde formation ; il a tous les caractères d’un grès dur mêlé d’une quantité de fer qui en augmente encore la dureté ; mais ce métal était en dissolution et avait perdu sa vertu magnétique lorsqu’il s’est incorporé avec le grès, puisque cet émeril n’est point attirable à l’aimant : la matière quartzeuse, au contraire, n’était pas dissoute, et se présente dans cette pierre d’émeril, comme dans les autres grès, en grains plus ou moins fins, mais toujours angu-

  1. « Dans une de mes courses lithologiques, dit M. Monnet, je découvris près du hameau appelé la Curée, dans la paroisse de Mandagout, une mine de terre d’ombre, nom qu’on lui donne dans le commerce. Cette terre est fort en usage dans la peinture pour les bâtiments, je veux dire, pour peindre les portes, les murs, etc., soit en détrempe, soit à l’huile, et leur donner une couleur brune tirant quelquefois sur le jaune. Cette mine se trouve auprès d’une petite rivière, dans une châtaigneraie ; elle n’a qu’un demi-pied d’épaisseur et que trois ou quatre pieds de bonne terre au-dessus. La partie de cette mine, qui est à découvert au bas d’un ravin, s’étend horizontalement à plusieurs toises : cette terre d’ombre est d’une couleur brune tirant sur le jaune ; elle est pesante, prenant un peu à la langue quand on la goûte, sans donner cependant aucune marque de stypticité, et toujours humide comme la boue épaisse ; j’en fis tirer quelques quintaux, elle s’est vendue chez l’épicier sans difficulté : j’en ai moi-même employé beaucoup aux portes de ma maison, à l’huile de noix cuite et en détrempe, l’ayant auparavant fait passer par un tamis de soie.

    » J’ai reconnu, par les épreuves chimiques, que cette terre d’ombre n’est uniquement que du fer dépouillé de son phlogistique : la pierre d’aimant présentée au-dessus n’en attire aucune parcelle ; elle ne fait aucune effervescence avec les acides ; exposée à l’action du feu dans un creuset d’essai couvert, avec parties égales de flux noir et de corne de cerf râpée, j’en ai retiré du fer pur : cette terre ressemble assez bien par la couleur au safran de mars des boutiques, qu’on prépare en exposant la limaille de fer à la rosée, ou en l’humectant avec de l’eau de pluie…

    » Cette terre d’ombre pourrait être placée avec les ocres ; j’y trouve seulement cette différence, que les véritables ocres sont toutes d’un jaune tirant sur le rouge, et la terre d’ombre dont je parle ici n’est pas fort colorée : l’eau, par le concours de l’air, peut lui donner cette nuance de couleur ; mais je puis assurer que je n’ai jamais obtenu un beau safran de mars bien jaune ou d’un beau rouge sanguin, qu’il n’ait été l’ouvrage de la calcination dans les vaisseaux ouverts ou fermés : les terres d’ombre, les ocres, n’étant que des chaux ferrugineuses dépouillées de phlogistique, ont une parfaite identité avec le safran de mars ; je pense que celles qui sont extrêmement colorées en jaune et en rouge pourraient être l’ouvrage de quelque feu souterrain, et non les autres, comme celle dont j’ai parlé, qui n’est assurément pas l’ouvrage du feu. » Mémoires de l’Académie des sciences, année 1768, p. 547 et 548.

  1. L’émeril est un corindon très riche en peroxyde de fer et impur.