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en quantité sensible ; elles ne pourraient en effet manquer de se présenter en particules massives si elles produisaient cet excès de densité : il me semble donc que ce n’est point au mélange des parties métalliques qu’on doit attribuer cette forte densité du rubis, et qu’elle peut provenir, comme celle des spaths pesants, de la seule réunion plus intime des molécules de la terre bolaire ou limoneuse.

L’ordre de dureté, dans les pierres précieuses, ne suit pas celui de densité ; le diamant, quoique moins dense, est beaucoup plus dur que le rubis, la topaze et le saphir, dont la dureté paraît être à très peu près la même ; la forme de cristallisation de ces trois pierres est aussi la même, mais la densité du rubis surpasse encore celle de la topaze et du saphir[1].

Je ne parle ici que du vrai rubis ; car il y a deux autres pierres transparentes, l’une d’un rouge foncé et l’autre d’un rouge clair, auxquelles on a donné les noms de rubis spinelle et de rubis balais, mais dont la densité, la dureté et la forme de cristallisation sont différentes de celles du vrai rubis. Voici ce que m’écrit à ce sujet M. Brisson, de l’Académie des sciences, auquel nous sommes redevables de la connaissance des pesanteurs spécifiques de tous les minéraux[2] : « Le rubis balais paraît n’être autre chose qu’une variété du

  1. La pesanteur spécifique du rubis d’Orient est de 42 833 ; celle de la topaze d’Orient, de 40 106 ; celle du saphir d’Orient, de 39 941. Tables de M. Brisson.
  2. Ce travail de M. Brisson est un des plus utiles pour la physique ; on peut même dire qu’il était nécessaire pour avoir la connaissance des rapports et des différences des minéraux ; et, comme il n’est point imprimé, je crois devoir citer ici d’avance ce que l’auteur m’écrit à ce sujet : « Il y a vingt ans, dit M. Brisson, que je travaille à mon ouvrage sur la pesanteur spécifique des corps ; dans les commencements le travail a été lent, parce qu’il a fallu du temps pour se procurer les différentes substances et pour savoir où l’on pourrait trouver toutes celles que je désirais faire entrer dans cet ouvrage ; mais, depuis cinq ans, j’y ai travaillé sans relâche. L’on n’en sera pas étonné, lorsqu’on verra, dans mon discours préliminaire, tous les soins et toutes les attentions qu’il a fallu avoir pour obtenir des résultats satisfaisants.

    » Je n’ai fait entrer dans cet ouvrage que les substances que j’ai éprouvées moi-même avec le plus grand soin, et avec les meilleurs instruments faits exprès pour cela : toutes ces substances ont été éprouvées à la température de 14 degrés de mon thermomètre, et dans un lieu qui était, à très peu de chose près, à la même température, afin qu’elle ne variât pas pendant l’épreuve, qui quelquefois prenait beaucoup de temps.

    » J’ai donc fait entrer dans cet ouvrage toutes les matières susceptibles d’être mises à l’épreuve, et que j’ai pu me procurer ; savoir : dans le règne minéral tous les métaux, et dans tous les états dans lesquels ils sont en usage dans le commerce et dans les arts ; les différentes matières métalliques, toutes les pierres dures et tendres, en un mot, depuis le diamant jusqu’à la pierre à bâtir ; les matières volcaniques et les matières inflammables ; tout cela comprend huit cent trente espèces ou variétés ; toutes les pierres susceptibles de cristallisation, je les ai éprouvées autant que j’ai pu, sous la forme cristalline, afin d’être plus sûr de leur nature.

    » Ensuite, j’ai éprouvé les fluides et liqueurs et j’ai déterminé la pesanteur de cent soixante-douze espèces ou variétés.

    » J’ai ajouté à cela la pesanteur de quelques matières végétales et animales dont l’état est constant, telles que les résines, les gommes, les sucs épaissis, les cires et les graisses ; et j’en ai éprouvé soixante-douze espèces ou variétés.

    » Toutes ces substances ont été éprouvées sur les plus grands volumes possibles, afin que les petites erreurs, souvent inévitables dans la manipulation, devinssent insensibles et pussent être négligées.

    » J’ai eu soin de donner la description de toutes les pièces qui ont servi à mes épreuves, et de dire de quel endroit je les ai tirées, afin qu’on puisse, si on le juge à propos, répéter mes expériences et vérifier les résultats. » (Note envoyée à M. de Buffon par M. Brisson, le 6 décembre 1785.)