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En consultant les observations faites par les voyageurs récents[1], on voit qu’il y a plusieurs points sur le globe où la déclinaison est actuellement nulle ou moindre d’un degré, soit à l’est, soit à l’ouest, tant dans l’hémisphère boréal que dans l’hémisphère austral, et la suite de ces points où la déclinaison est nulle ou presque nulle forme des lignes et même des bandes qui se prolongent dans les deux hémisphères. Ces mêmes observations nous indiquent aussi que les endroits où la déclinaison est la plus grande, dans l’un et l’autre hémisphère, se trouvent aux plus hautes latitudes et beaucoup plus près des pôles que de l’équateur.

Les causes qui font varier la déclinaison et la transportent, pour ainsi dire, avec le temps, de l’est à l’ouest, ou de l’ouest à l’est du méridien terrestre, ne dépendent donc que de circonstances accidentelles et locales sur lesquelles, néanmoins, nous pouvons asseoir un jugement en rapprochant les différents faits ci-devant indiqués.

Nous avons dit qu’en l’année 1580, l’aiguille déclinait à Paris de onze degrés trente minutes vers l’est ; or, nous remarquerons que c’est depuis cette année 1580 que la déclinaison paraît avoir commencé de quitter cette direction vers l’est, pour se porter successivement vers le nord et ensuite vers l’ouest ; car, en l’année 1610, l’aiguille, ainsi que nous l’avons déjà remarqué, ne déclinait plus que de huit degrés vers l’est ; en 1640, elle ne déclinait plus que de trois degrés, et en 1663, elle se dirigeait droit au pôle. Enfin, depuis cette époque, elle n’a pas cessé de se porter vers l’ouest. J’observerai donc que la période de ce progrès dans l’ouest, auquel il faut joindre encore la période du retour ou du rappel de la déclinaison de l’est au nord, puisque ce mouvement s’est opéré dans le même sens ; j’observerai, dis-je, que ces périodes de temps semblent correspondre à l’époque du défrichement et de la dénudation de la terre dans l’Amérique septentrionale et aux progrès de l’établissement des colonies dans cette partie du nouveau monde : en effet, l’ouverture du sein de cette nouvelle terre par la culture, les incendies des forêts dans de vastes étendues et l’exploitation des mines de fer par les Européens dans ce continent, dont les habitants sauvages n’avaient jamais connu ni recherché ce métal, n’ont-elles pas dû produire un nouveau pôle magnétique, et déterminer vers cette partie occidentale du globe la direction de l’aimant qui précédemment n’éprouvait pas cette attraction, et au lieu d’obéir à deux forces était uniquement déterminée par le courant électrique qui va de l’équateur aux pôles de la terre ?

J’ai remarqué ci-devant que la déclinaison s’est trouvée constante à Québec, durant une période de trente-sept ans ; ce qui semble prouver l’action constante d’un nouveau pôle magnétique dans les régions septentrionales de l’Amérique. Enfin, le ralentissement actuel du progrès de la déclinaison dans l’ouest offre encore un rapport suivi avec l’état de cette terre du nouveau monde, où le principal progrès de la dénudation du sol et de l’exploitation des mines de fer paraît actuellement être à peu près aussi complet que dans les régions septentrionales de l’ancien continent.

On peut donc assurer que cette déclinaison de l’aimant dans les divers lieux et selon les différents temps ne dépend que du gisement des grandes masses ferrugineuses dans chaque région, et de l’aimantation plus ou moins prompte de ces mêmes masses par des causes accidentelles ou des circonstances locales, telles que le travail de l’homme, l’incendie des forêts, l’éruption des volcans, et même les coups que frappe l’électricité souterraine sur de grands espaces, causes qui peuvent toutes donner également le magnétisme aux matières ferrugineuses ; et ce qui en complète les preuves, c’est qu’après les tremblements de terre on a vu souvent l’aiguille aimantée soumise à de grandes irrégularités dans ses variations[2].

  1. Voyez les Trois voyages du capitaine Cook.
  2. Voyez l’ouvrage déjà cité de M. Æpinus, no 364.