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Car, si nous remontons au delà de l’année 1663, et que nous prenions pour premier terme de la progression de ce mouvement l’année 1580, dans laquelle la déclinaison était de 11 degrés 30 minutes vers l’est, le progrès de ce mouvement en deux cent cinq ans (c’est-à-dire depuis 1580 jusqu’à l’année 1785 comprise) a été en totalité de 33 degrés 30 minutes, ce qui donnerait environ deux mille deux cent un ans pour la révolution totale de 360 degrés. Mais ce mouvement n’est pas, à beaucoup près, uniforme, puisque, depuis 1580 jusqu’en 1663, c’est-à-dire en quatre-vingt-trois ans, l’aiguille a parcouru 11 degrés 30 minutes par son mouvement de l’est au nord, tandis que, dans les cinquante-deux années suivantes, c’est-à-dire depuis 1663 jusqu’en 1715, elle a parcouru du nord à l’ouest un espace égal de 11 degrés 30 minutes et que, dans les cinquante années suivantes, c’est-à-dire depuis 1715 jusqu’en 1765, le progrès de cette déclinaison n’a été que d’environ 7 degrés et demi ; car, dans cette année 1765, l’aiguille aimantée déclinait à Paris de 18 degrés 55 minutes 20 secondes, et nous voyons que, depuis cette année 1765 jusqu’en 1785, c’est-à-dire en vingt ans, la déclinaison n’a augmenté que de 2 degrés, différence si petite, en comparaison des précédentes, qu’on peut présumer avec fondement que le mouvement total de cette déclinaison à l’ouest est borné, quant à présent, à un arc de 22 ou 23 degrés[1].

La supposition que le mouvement suit la même marche de l’est au nord que du nord à l’ouest n’est nullement appuyée par les faits ; car, si l’on consulte les observations faites à Paris depuis l’année 1610 jusqu’en 1663, c’est-à-dire dans les cinquante-trois ans qui ont précédé l’année où la déclinaison était nulle, l’aiguille n’a parcouru que 8 degrés de l’est au nord, tandis que, dans un espace de temps presque égal, c’est-à-dire dans les cinquante-neuf années suivantes, depuis 1663 jusqu’en 1712, elle a parcouru 13 degrés vers l’ouest[2]. On ne peut donc pas supposer que le mouvement de la déclinaison suive la même marche en s’approchant qu’en s’éloignant du nord, puisque ces observations démontrent le contraire.

Tout cela prouve seulement que ce mouvement ne suit aucune règle et qu’il n’est pas l’effet d’une cause constante ; il paraît donc certain que cette variation ne dépend que de causes accidentelles ou locales, et spécialement de la découverte ou de l’enfouissement des mines et grandes masses ferrugineuses, et de leur aimantation plus ou moins prompte et plus ou moins étendue, selon qu’elles sont plus ou moins découvertes et exposées à l’action du magnétisme général. Ces changements, comme nous l’avons dit, peuvent être produits par les tremblements de terre, l’éruption des volcans ou les coups des foudres souterraines, l’incendie des forêts, et même par le travail des hommes sur les mines de fer. Il doit dès lors se former de nouveaux pôles magnétiques plus faibles ou plus puissants que les anciens, dont on peut aussi supposer l’anéantissement par les mêmes causes. Ce mouvement ne peut donc pas être considéré comme un grand balancement qui se ferait par des oscillations régulières, mais comme un mouvement qui s’opère par secousses plus ou moins sensibles, selon le changement plus ou moins prompt des pôles magnétiques, changement qui ne peut provenir que de la découverte et de l’aimantation des mines ferrugineuses, lesquelles seules peuvent former des pôles.

Si nous considérons les mouvements particuliers de l’aiguille aimantée, nous verrons qu’elle est presque continuellement agitée par de petites vibrations dont l’étendue est au

  1. Dans le supplément aux Voyages de Thévenot, publié en 1681, p. 30, il est dit que la déclinaison de l’aiguille aimantée avait été observée de 5 degrés vers l’est en 1269. Si l’on connaissait le lieu où cette observation a été faite, elle pourrait démontrer que la déclinaison est quelquefois rétrograde, et par conséquent que son mouvement ne produit pas une révolution entière.
  2. Musschenbroëck, p. 154.