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ARTICLE V

DE LA DIRECTION DE L’AIMANT ET DE SA DÉCLINAISON.

Après avoir considéré les effets de la force attractive de l’aimant, considérons les phénomènes de ses forces directives. Un aimant ou, ce qui revient au même, une aiguille aimantée, se dirige toujours vers les pôles du globe, soit directement, soit obliquement, en déclinant à l’est ou à l’ouest, selon les temps et les lieux, car ce n’est que pendant un assez petit intervalle de temps, comme de quelques années, que dans un même lieu la direction de l’aimant paraît être constante ; et en tout temps, il n’y a que quelques endroits sur la terre où l’aiguille se dirige droit aux pôles du globe, tandis que, partout ailleurs, elle décline de plus ou moins de degrés à l’est ou à l’ouest, suivant les différentes positions de ces mêmes lieux.

Les grandes ou petites aiguilles, aimantées sur un aimant fort ou faible contre les pôles ou contre les autres parties de la surface de ces aimants, prennent toutes la même direction en marquant également la même déclinaison dans chaque lieu particulier.

Les Français sont, de l’aveu même des étrangers, les premiers en Europe qui aient fait usage de cette connaissance de la direction de l’aimant pour se conduire dans leurs navigations[1] : dès le commencement du xiie siècle, ils naviguaient sur la Méditerranée guidés par l’aiguille aimantée, qu’ils appelaient la marinette[2] ; et il est à présumer que, dans ce temps, la direction de l’aimant était constante, car cette aiguille n’aurait pu guider des navigateurs qui ne connaissaient pas ses variations, et ce n’est que dans les siècles suivants qu’on a observé sa déclinaison dans les différents lieux de la terre, et même aujourd’hui l’art nécessaire à la précision de ces observations n’est pas encore à sa perfection. La marinette n’était qu’une boussole imparfaite, et notre compas de mer, qui est une boussole perfectionnée, n’est pas encore un guide aussi fidèle qu’il serait à désirer : nous ne pouvons même guère espérer de le rendre plus sûr, malgré les observations très multipliées des navigateurs dans toutes les parties du monde, parce que la déclinaison de l’aimant change selon les lieux et les temps. Il faut donc chercher à reconnaître ces changements de direction en différents temps, pendant un aussi grand nombre d’années que les observations peuvent nous l’indiquer, et ensuite les comparer aux changements de cette déclinaison dans un même temps en différents lieux.

En recueillant le petit nombre d’observations faites à Paris dans les xvie et xviie siècles, il paraît qu’en l’année 1580 l’aiguille aimantée déclinait de 11 degrés 30 minutes vers l’est ; qu’en 1618 elle déclinait de 8 degrés, et qu’en l’année 1663 elle se dirigeait droit au

    mon aimant de la droite à la gauche, la rotation des terrella était de la gauche à la droite, et l’inverse arrivait toujours lorsque je tournais mon aimant de l’autre sens. » Essai sur le fluide électrique, par M. le comte de Tressan ; Paris, 1786, t. Ier, p. 26 jusqu’à 29.

  1. Par le témoignage des auteurs chinois, dont MM. Le Foux et de Guignes ont fait l’extrait, il paraît certain que la propriété qu’a le fer aimanté de se diriger vers les pôles a été très anciennement connue des Chinois ; la forme de ces premières boussoles était une figure d’homme qui tournait sur un pivot, et dont le bras droit montrait toujours le midi. Le temps de cette invention, suivant certaines chroniques de la Chine, est 1 115 ans avant l’ère chrétienne, et 2 700 selon d’autres. (Voyez l’extrait des Annales de la Chine, par MM. Le Foux et de Guignes.) Mais, malgré l’ancienneté de cette découverte, il ne paraît pas que les Chinois en aient jamais tiré l’avantage de faire de longs voyages,
  2. Musschenbroëck, Dissertatio de magnete.