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une plus forte action du feu que les autres mines, est devenue moins fusible ; et en effet, les mines d’aimant ne se trouvent pas comme les autres mines de fer par grandes masses continues, mais par petits blocs placés à la surface de ces mêmes mines où le feu primitif, animé par l’air, était plus actif que dans leur intérieur.

Ces blocs d’aimant sont plus ou moins gros, et communément séparés les uns des autres ; chacun a sa sphère particulière d’attraction et ses pôles, et, puisque le fer peut acquérir de lui-même toutes ces propriétés dans les mêmes circonstances, ne doit-on pas en conclure que, dans les mines primordiales de fer, les parties qui étaient exposées au feu plus vif, que l’air excitait à la surface du globe en incandescence, auront subi une plus violente action de ce feu et se seront en même temps divisées, fendues, séparées, et qu’elles auront acquis d’elles-mêmes cette puissance magnétique, qui ne diminue ni ne s’épuise et demeure toujours la même, parce qu’elle dépend d’une cause extérieure toujours subsistante et toujours agissante.

La formation des premiers aimants me paraît donc bien démontrée, mais la cause première du magnétisme en général n’en était pas mieux connue. Pour deviner ou même soupçonner quelles peuvent être la cause ou les causes d’un effet particulier de la nature, tel que le magnétisme, il fallait auparavant considérer les phénomènes en exposant tous les faits acquis par l’expérience et l’observation. Il fallait les comparer entre eux et avec d’autres faits analogues, afin de pouvoir tirer du résultat de ces comparaisons les lumières qui devaient nous guider dans la recherche des causes inconnues et cachées ; c’est la seule route que l’on doive prendre et suivre, puisque ce n’est que sur des faits bien avérés, bien entendus, qu’on peut établir des raisonnements solides ; et plus ces faits seront multipliés, plus il deviendra possible d’en tirer des inductions plausibles et de les réunir pour en faire la base d’une théorie bien fondée, telle que nous paraît être celle que j’ai présentée dans le premier chapitre de ce traité.

Mais, comme les faits particuliers qu’il nous reste à exposer sont, aussi nombreux que singuliers, qu’ils paraissent quelquefois opposés ou contraires, nous commencerons par les phénomènes qui ont rapport à l’attraction ou à la répulsion de l’aimant, et ensuite nous exposerons ceux qui nous indiquent sa direction avec ses variations, tant en déclinaison qu’en inclinaison : chacune de ces grandes propriétés de l’aimant doit être considérée en particulier et d’autant plus attentivement, qu’elles paraissent moins dépendantes les unes des autres, et qu’en ne les jugeant que par les apparences, leurs effets sembleraient provenir de causes différentes.

Au reste, si nous recherchons le temps où l’aimant et ses propriétés ont commencé d’être connus, ainsi que les lieux où ce minéral se trouvait anciennement, nous verrons, par le témoignage de Théophraste, que l’aimant était rare chez les Grecs, qui ne lui connaissaient d’autre propriété que celle d’attirer le fer ; mais du temps de Pline, c’est-à-dire trois siècles après, l’aimant était devenu plus commun, et aujourd’hui il s’en trouve plusieurs mines dans les terres voisines de la Grèce, ainsi qu’en Italie, et particulièrement à l’île d’Elbe. On doit donc présumer que la plupart des mines de ces contrées ont acquis, depuis le temps de Théophraste, leur vertu magnétique à mesure qu’elles ont été découvertes, soit par des effets de nature, soit par le travail des hommes ou par le feu des volcans.

On trouve de même des mines d’aimant dans presque toutes les parties du monde, et surtout dans les pays du nord, où il y a beaucoup plus de mines primordiales de fer que dans les autres régions de la terre. Nous avons donné ci-devant la description des mines aimantées de Sibérie[1], et l’on sait que l’aimant est si commun en Suède et en Norvège, qu’on en fait un commerce assez considérable[2].

  1. Voyez la description des mines aimantées de Sibérie.
  2. La pierre d’aimant est en si grande quantité en Norvège et en Suède, qu’on l’envoie par tonneaux hors du pays. Pontoppidan, Journal étranger, mois de septembre 1745, p. 213.