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ainsi dire, un sens électrique et magnétique. La torpille[1], l’anguille électrique de Surinam, le trembleur du Niger[2], semblent réunir et concentrer dans une même faculté la force de l’électricité et celle du magnétisme. Ces poissons, électriques et magnétiques, engourdissent les corps vivants qui les touchent ; et, suivant M. Schilling et quelques autres observateurs, ils perdent cette propriété lorsqu’on les touche eux-mêmes avec l’aimant. Il leur ôte la faculté d’engourdir, et on leur rend cette vertu en les touchant avec du fer, auquel se transporte le magnétisme qu’ils avaient reçu de l’animal. Ces mêmes poissons, électriques et magnétiques, agissent sur l’aimant et font varier l’aiguille de la boussole[3] ; mais ce qui prouve évidemment la présence de l’électricité dans ces animaux, c’est qu’on voit paraître des étincelles électriques dans les intervalles que laissent les conducteurs métalliques avec lesquels on les touche. M. Walsch a fait cette expérience, devant la Société royale de Londres, sur l’anguille de Surinam, dont la force électrique paraît être plus grande que celle de la torpille, dans laquelle cette action est peut-être trop faible pour produire des étincelles[4]. Et ce qui démontre encore que la commotion produite par ces poissons n’est point un effet mécanique, comme l’ont pensé quelques physiciens, mais un phénomène électrique, c’est qu’elle se propage au travers des fluides et se communique, par le moyen de l’eau, à plusieurs personnes à la fois[5].

Or, ces étincelles et cette commotion, plus ou moins violentes, que font éprouver ces poissons, sont vraiment des effets de l’électricité, que l’on ne peut attribuer en aucune manière au simple magnétisme, puisque aucun aimant, tant naturel qu’artificiel, n’a fait éprouver de secousses sensibles, ni produit aucune étincelle ; d’un autre côté, les commotions que donnent les torpilles, l’anguille électrique de Surinam et le trembleur du Niger, étant très fortes, lorsque ces poissons sont dans l’eau des mers ou des grands fleuves, on peut d’autant moins la considérer comme un phénomène purement électrique, que les effets de l’électricité s’affaiblissent avec l’humidité de l’air qui la dissipe, et ne peuvent jamais être excités lorsqu’on mouille les machines qui la produisent. Les vases de verre

  1. La torpille ressemble, par sa forme, à la raie. « C’est un poisson des plus singuliers, et qui produit sur le corps humain d’étranges effets. Pour peu qu’on le touche, ou si par hasard on vient à marcher dessus, on se sent saisi d’un engourdissement par tout le corps, mais surtout dans la partie qui a touché immédiatement la torpille. On remarque encore le même effet quand on touche ce poisson avec quelque chose que l’on tient à la main. J’ai moi-même ressenti un assez grand engourdissement dans le bras droit, pour avoir appuyé pendant quelque temps ma canne sur le corps de ce poisson, et je ne doute pas que l’effet n’en eût été plus violent, si l’animal n’avait été près d’expirer, car il produit cet effet à mesure qu’il est plus vigoureux, et il cesse de le produire dès qu’il est mort ; on peut en manger sans inconvénient. J’ajouterai encore que l’engourdissement ne passe pas aussi vite que certains naturalistes le disent. Le mien diminua insensiblement, et le lendemain, j’en sentis encore quelques restes… » Voyage autour du monde, par George Anson ; Amsterdam, 1748, p 211.

    Dans l’ancienne médecine, on s’est servi de la torpille pour engourdir et calmer : Galien compare sa vertu à celle de l’opium pour calmer et assoupir les douleurs.

  2. Il est bon d’observer que les espèces de poissons électriques diffèrent trop les unes des autres pour qu’on puisse rapporter leurs phénomènes à la conformité de leur organisation. On ne peut donc les attribuer qu’aux effets de l’électricité. (Voyez un très bon Mémoire de M. Broussonnet, de l’Académie des sciences, sur le trembleur et les autres poissons électriques, dans le Journal de physique du mois d’août 1785.)
  3. Voyez l’ouvrage que M. Schilling a publié sur cette action de l’aimant, appliquée aux poissons électriques.
  4. Lettre de M. Walsch à M. Le Roi, de l’Académie des sciences, dont ce dernier a publie l’extrait dans le Journal de physique, année 1776.
  5. Lettre de M. Walsch, publiée par M. Le Roi, Journal de physique, année 1774.