poix de terre ou bitume judaïque[1]. Enfin, jusqu’au Japon les bitumes sont non seulement connus, mais très communs, et Kæmpfer assure qu’en quelques endroits de ces îles l’on ne se sert que d’huile bitumineuse au lieu de chandelle[2].
En Amérique, ces mêmes substances bitumineuses ne sont pas rares. Dampier a vu de la poix de montagne en blocs de quatre livres pesant, sur la côte de Carthagène : la mer jette ce bitume sur les grèves sablonneuses de cette côte, où il demeure à sec. Il dit que cette poix fond au soleil et est plus noire, plus aigre au toucher et plus forte d’odeur que la poix végétale[3]. Garcilasso, qui a écrit l’histoire du Pérou, et qui y était né, rapporte qu’anciennement les Péruviens se servaient de bitume pour embaumer leurs morts : ainsi le bitume et même ses usages ont été connus de tous les temps, et presque de tous les peuples policés[NdÉ 1].
Je n’ai rassemblé tous ces exemples que pour faire voir que, quoique les bitumes se trouvent sous différentes formes dans plusieurs contrées, néanmoins les bitumes purs sont infiniment plus rares que les matières dont ils tirent leur origine : ce n’est que par une seconde opération de la nature qu’ils peuvent s’en séparer et prendre de la liquidité ; les charbons de terre, les schistes bitumineux, doivent être regardés comme les grandes masses de matières que les feux souterrains mettent en distillation pour former les bitumes liquides qui nagent sur les eaux ou coulent des rochers. Comme le bitume, par sa nature onctueuse, s’attache à toute matière et souvent la pénètre, il faut la circonstance particulière du voisinage d’un feu souterrain pour qu’il se manifeste dans toute sa pureté ; car il me semble que la nature n’a pas d’autre moyen pour cet effet. Aucun bitume ne se dissout ni ne se délaie dans l’eau : ainsi ces eaux qui sourdissent avec du bitume n’ont pu enlever par leur action propre ces particules bitumineuses ; et dès lors n’est-il pas nécessaire d’attribuer à l’action du feu l’origine de ce bitume coulant, et même à l’action d’un vrai feu, et non pas de la température ordinaire de l’intérieur de la terre ? Car il faut une assez grande chaleur pour que les bitumes se fondent, et il en faut encore une plus grande pour qu’ils se résolvent en naphte et en pétrole, et, tant qu’ils n’éprouvent que la température ordinaire, ils restent durs, soit à l’air, soit dans la terre : ainsi tous les bitumes coulants doivent leur liquidité à des feux souterrains, et ils ne se trouvent que dans les lieux où les couches de terre bitumineuse et les veines de charbon sont voisines de ces feux qui non seulement en liquéfient le bitume, mais le distillent et en font élever les parties les plus ténues pour former le naphte et les pétroles, lesquels, se mêlant ensuite avec des matières moins pures, produisent l’asphalte et la poix de montagne, ou se coagulent en jayet et en succin.
Nous avons déjà dit que le succin a certainement été liquide, puisqu’on voit dans son intérieur des insectes dont quelques-uns y sont profondément enfoncés ; il faut cependant
- ↑ Voyage à Madagascar ; Paris, 1661, p. 162.
- ↑ Histoire du Japon, par Kæmpfer ; La Haye, 1729, t. Ier, p. 96.
- ↑ Voyage de Dampier ; Rouen, 1715, t. III, p. 391.
- ↑ Les sources les plus importantes de pétrole sont celles qui ont été découvertes dans l’Amérique du Nord en 1858. Drake, qui faisait à cette époque des sondages dans la vallée nommée Oil Creek, en Pensylvanie, pour y découvrir des sources salées, fit jaillir d’un puits artésien une source de pétrole qui débitait près de 4 000 litres par jour. Cette source provenait d’une nappe souterraine immense, exploitée aujourd’hui dans la Pensylvanie, le Canada, l’Ohio, l’Illinois, la Virginie, la Géorgie, le Maryland, le Kentucky et même la Californie. Dans l’Ohio et la Pensylvanie, qui contiennent les gisements les plus importants, il existe 12 à 15 000 puits.
De ce pétrole on retire : l’essence minérale, l’huile de pétrole ordinaire qui sert, comme l’essence, à l’éclairage, l’huile lourde qui n’est employée que dans le graissage, et la paraffine.