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de La Brosse, mon premier et plus ancien prédécesseur au Jardin du Roi ; il écrivait en 1628, et, en parlant de la Licorne minérale, il la nomme la mère des turquoises. Cette licorne est sans doute la longue défense osseuse et dure du narval : ces défenses, ainsi que les dents et les os de plusieurs autres animaux marins remarquables par leur forme, se trouvent en Languedoc[1], et ont été soumises dès ce temps à l’action du feu pour leur donner la couleur bleue ; car dans le sein de la terre elles sont blanches ou jaunâtres comme la pierre calcaire qui les environne, et qui paraît les avoir pétrifiées.

On peut voir dans les Mémoires de l’Académie des sciences, année 1715, les observations que M. de Réaumur a faites sur ces turquoises du Languedoc[2]. MM. de l’Académie de Bordeaux ont vérifié, en 1719, les observations de Guy de La Brosse et de Réaumur[3] ; et plusieurs années après, M. Hill en a parlé dans son Commentaire sur Théophraste[4], prétendant que les observations de cet auteur grec ont précédé celles des naturalistes français. Il est vrai que Théophraste, après avoir parlé des pierres les plus précieuses, ajoute qu’il y en a encore quelques autres, telles que l’ivoire fossile, qui paraît

  1. Il s’en trouve en France, dans le bas Languedoc, près de Simore, à Baillabatz, à Laymont ; il y en a aussi du côté d’Auch et à Gimont, à Castres. Celles de Simore sont connues depuis environ quatre-vingts ans. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1715.
  2. La matière des turquoises sont des os pétrifiés. La tradition de Simore est que les uns de ces os ressemblaient aux os des jambes, d’autres à ceux des bras, et d’autres à des dents ; et la figure des dents est la plus certainement connue dans ces turquoises. Parmi les échantillons envoyés à l’auteur, il s’en est trouvé qui ne sont pas moins visiblement dents que les glossopètres : ils ont de même tout leur émail qui s’est parfaitement conservé ; mais la partie osseuse, celle que l’émail recouvrait, comme celle qui faisait la racine de la dent, et qui n’avait jamais été revêtue d’émail, est une pierre blanche qui, mise au feu, devient turquoise, en prenant la couleur bleue. La figure de ces dents n’est point semblable à celle des glossopètres qui sont aiguës, au lieu que ces turquoises sont aplaties et ont apparemment été les dents molaires de quelque animal. On en rencontre d’une grosseur prodigieuse : « J’en ai vu, dit M. de Réaumur, d’aussi grosses que le poing ; mais on en trouve de petites beaucoup plus fréquemment. On a trouvé à Castres des dents de figures différentes, et qui ont pris de même une couleur bleue au feu : il s’en est trouvé, dans celles de Simore, qui avaient la figure de celles dont les doreurs et autres ouvriers se servent pour polir, et qui n’ont qu’une seule ouverture pour l’insertion du nerf, tandis que plusieurs autres sont carrées et présentent deux ou quatre cavités.

    « Il y a apparence que ces dents sont toutes d’animaux de mer, car on n’en connaît point de terrestres qui en aient de pareilles ; et, en général, il n’y a que la partie osseuse de ces dents qui devienne turquoise, l’émail ne se convertit pas. » Mémoires de l’Académie des sciences, année 1715, p. 1 et suiv.

  3. En parlant de plusieurs ossements qu’on a trouvés renfermés dans une roche, dans la paroisse de Haux, pays d’entre deux mers, l’historien de l’Académie dit que messieurs de l’Académie de Bordeaux, ayant examiné cette matière, ont voulu éprouver sur ces ossements ce que Réaumur avait dit de l’origine des turquoises ; ils ont trouvé qu’en effet un grand nombre de fragments de ces os pétrifiés, mis à un feu très vif, sont devenus d’un beau bleu de turquoise, que quelques petites parties en ont pris la consistance et que, taillées par un lapidaire, elles en ont eu le poli. Ils ont poussé la curiosité plus loin : ils ont fait l’expérience sur des os récents qui n’ont fait que noircir, hormis peut-être quelques petits morceaux qui tiraient sur le bleu : de là ils concluent avec beaucoup d’apparence que les os, pour devenir turquoises, ont besoin d’un très long séjour dans la terre, et que la même matière qui fait le noir dans les os récents fait le bleu dans ceux qui ont été longtemps enterrés, parce qu’elle y a acquis lentement et par degrés une certaine maturité. Il ne faut pas oublier que ces os, qui appartenaient visiblement à différents animaux, ont également bien réussi à devenir turquoises. Histoire de l’Académie des sciences, année 1719, p. 24 et suiv.
  4. Théophraste. Sur les pierres, avec des Notes, par M. Hill ; Londres, 1746.