Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/538

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

même temps que cette substance est d’une autre texture que celle des agates dont aucune ne s’imbibe d’eau ; enfin, ce qui démontre plus évidemment combien la structure ou la composition de cette pierre hydrophane diffère de celle des agates ou calcédoines, c’est la grande différence qui se trouve dans le rapport de leurs densités[1] ; celle de l’hydrophane n’est que d’environ 23 000, tandis que celle des agates et calcédoines est de 26 à 27 000 ; il est vrai que la substance de toutes deux est quartzeuse, mais la texture de l’hydrophane est poreuse comme une éponge, et celle des agates et calcédoines est solide et pleine ; on ne doit donc regarder cette pierre hydrophane et poreuse que comme un agrégat de particules ou grains quartzeux qui ne se touchent que par des points, et laissent entre eux des interstices continus qui font la fonction de tuyaux capillaires, et attirent l’eau jusque dans l’intérieur et au centre de la pierre, car sa transparence s’étend et augmente à mesure qu’on la laisse plus longtemps plongée dans l’eau ; elle ne devient même entièrement diaphane qu’après un assez long séjour, soit dans l’eau pure, soit dans toute autre liqueur ; car le vin, le vinaigre, l’esprit-de-vin, et même les acides minéraux, produisent sur cette pierre le même effet que l’eau ; ils la rendent transparente sans la dissoudre ni l’entamer, ils n’en dérangent pas la texture, et ne font qu’en remplir les pores dont ensuite ils s’exhalent par le seul desséchement ; elle acquiert donc ou perd du poids à mesure que le liquide la pénètre ou l’abandonne en s’exhalant, et l’on a observé que les liquides, aidés par la chaleur, la pénètrent plutôt que les liquides froids.

Cette pierre, qui n’était pas connue des anciens, n’avait pas encore de nom, dans le siècle dernier. Il est dit dans les Éphémérides d’Allemagne, année 1672, qu’un lapidaire, qui avait trois de ces pierres, fit présent d’une au consul de Marienbourg, et la lui donna comme une pierre précieuse qui n’avait pas de nom : l’une de ces pierres, ajoute le relateur, était encore dans sa gangue de quartz ; celle qui fut donnée au consul de Marienbourg n’était que de la grosseur d’un pois et d’une couleur de cendre ; elle était opaque, et, lorsqu’elle fut plongée dans l’eau, elle commença, au bout de six minutes, à paraître diaphane par les bords ; elle devint d’un jaune d’ambre ; elle passa ensuite du jaune à la couleur d’améthyste, au noir, au blanc, et enfin elle prit une couleur obscure, nébuleuse et comme enfumée ; tirée de l’eau, elle revint à son premier état d’opacité, après s’être colorée successivement, et dans un ordre inverse, des mêmes teintes qu’elle avait prises auparavant dans l’eau[2]. Je dois remarquer qu’on n’a pas vu cette succession de couleurs sur les pierres qui ont été observées depuis ; elles ne prennent qu’une couleur et la conservent tant qu’elles sont imbibées d’eau.

M. Gerhard, savant académicien de Berlin, a fait beaucoup d’observations sur cette pierre hydrophane[3] ; il dit avec raison qu’elle forme l’écorce qui environne les opales et les calcédoines d’Islande et de Feroë, et qu’on la trouve également en Silésie où elle constitue l’écorce brunâtre et jaunâtre de la chrysoprase. D’après les expériences chimiques que M. Gerhard a faites sur cette pierre, il croit qu’elle est composée de deux tiers d’alun sur un tiers de terre vitrifiable et de matière grasse[4]. Mais ce savant auteur ne nous dit

  1. La pesanteur spécifique de l’agate est de 25 901, et celle de la pierre oculus mundi ou hydrophane n’est que de 22 950. Voyez la Table de M. Brisson.
  2. Collection académique, partie étrangère, t. III, p. 167.
  3. Voyez les Mémoires de l’Académie de Berlin, année 1777, et le Journal de physique de M. l’abbé Rozier, mars 1778.
  4. Cette pierre est composée de deux tiers d’alun, d’un tiers de terre vitrifiable et de matière grasse. L’espèce brune de Silésie contient aussi du fer : ce n’est donc ni quartz, ni caillou, mais une pierre grasse de l’ordre de celles qui contiennent de la terre d’alun ; d’où l’auteur avait conclu qu’il fallait en faire plutôt une espèce qu’un genre, attendu qu’il pouvait arriver qu’on découvrît des pierres chatoyantes parmi les pierres grasses qui contiennent la magnésie du sel marin. Journal de physique de M. l’abbé Rozier, mars 1778.