Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en les purifiant. Autrefois, les Vénitiens étaient, et actuellement les Hollandais sont les seuls qui aient le secret de ce petit art, et les seuls aussi qui fassent le commerce de ce sel ; cependant on assure que les Anglais en tirent de plusieurs endroits des Indes, et qu’ils en achètent des Hollandais à Ceylan.

Le borax bien purifié doit être fort blanc et très léger ; on le falsifie souvent en le mêlant d’alun ; il porte alors une saveur styptique sur la langue, et, volume pour volume, il est bien moins léger que le borax pur, qui n’a d’ailleurs presque point de saveur, et dont les cristaux sont plus transparents que ceux de l’alun : on distingue donc à ces deux caractères sensibles le borax pur du borax mélangé.

La plus grande et la plus utile propriété du borax est de faciliter plus qu’aucun autre sel la fusion des métaux ; il en rassemble aussi les parties métalliques et les débarrasse des substances hétérogènes qui s’y trouvent mêlées, en les réduisant en scories qui nagent au-dessus du métal fondu ; il le défend aussi de l’action de l’air et du feu, parce qu’il forme lui-même un verre qui sert de bain au métal avec lequel il ne se confond ni ne se mêle ; et comme il en accélère et facilite la fusion, il diminue par conséquent la consommation des combustibles et le temps nécessaire à la fonte, car il ne faut qu’un feu modéré pour qu’il exerce son action fondante ; on s’en sert donc avec tout avantage pour souder les métaux, dont on peut par son moyen réunir les pièces les plus délicates sans les déformer ; il a éminemment cette utile propriété de réunir et souder ensemble tous les métaux durs et difficiles à fondre.

Quoiqu’à mon avis le borax contienne de l’arsenic, il est néanmoins autant ami des métaux que l’arsenic se montre leur ennemi : le borax les rend liants et fusibles et ne leur communique aucune des qualités de l’arsenic, qui, lorsqu’il est seul et nu, les aigrit et les corrode ; et d’ailleurs l’action du borax est subordonnée à l’art, au lieu que l’arsenic agit par sa propre activité, et se trouve répandu et produit par la nature dans presque tout le règne minéral ; et à cet égard l’arsenic comme sel devrait trouver ici sa place.

Nous avons dit que des trois grandes combinaisons salines de l’acide primitif ou aérien, la première s’est faite avec la terre vitreuse, et nous est représentée par l’acide vitriolique ; la seconde s’est opérée avec la terre calcaire, et a produit l’acide marin ; et la troisième avec la substance métallique a formé l’arsenic. L’excès de causticité qui le caractérise et ses autres propriétés semblent en effet tenir à la masse et à la densité de la base que nous lui assignons ; mais l’arsenic est un protée qui non seulement se montre sous la forme de sel, mais se produit aussi sous celle d’un régule métallique, et c’est à cause de cette propriété qu’on lui a donné le nom et le rang de demi-métal : ainsi nous remettons à en traiter à la suite les demi-métaux, dont il paraît être le dernier, quoique, par des traits presque aussi fortement marqués, il s’unisse et s’assimile aux sels.

Nous terminerons donc ici cette histoire naturelle des sels, peut-être déjà trop longue ; mais j’ai dû parler de toutes les matières salines que produit la nature, et je n’ai pu le faire sans entrer dans quelque discussion sur les principes salins, et sans exposer avec un peu de détail les différents effets des acides et des alcalis amenés par notre art à leur plus grand degré de pureté ; j’ai tâché d’exposer leurs propriétés essentielles, et je crois qu’on en aura des idées nettes, si l’on veut me lire sans préjugés : j’aurais encore plus excédé les bornes que je me suis prescrites, si je me fusse livré à comparer avec les sels produits par la nature tous ceux que la chimie a su former par ses combinaisons ; les sels sont, après le feu, les plus grands instruments de ce bel art, qui commence à devenir une science par sa réunion avec la physique.