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des granits et des grès, les paillettes du mica, et même les jaspes et les cailloux les plus durs se ramollir, blanchir par l’impression de l’air, et prendre à leur surface tous les caractères de cette terre ; et l’argile, pénétrée par les pluies, et mêlée avec le limon des rosées et avec les débris des végétaux, devient bientôt une terre féconde.

Tous les micas, toutes les exfoliations du quartz, du jaspe, du feldspath et du schorl, tous les détriments des porphyres, des granits et des grès, perdent peu à peu leur sécheresse et leur dureté ; ils s’atténuent et se ramollissent par l’humidité, et leurs molécules deviennent à la fin spongieuses et ductiles par la même impression des éléments humides. Cet effet, qui se passe en petit sous nos yeux, nous représente l’ancienne et grande formation des argiles après la première chute des eaux sur la surface du globe : ce nouvel élément saisit alors toutes les poudres des verres primitifs ; et c’est dans ce temps que se fit la combinaison qui produisit l’acide universel[NdÉ 1] par l’action du feu, dont la terre et l’eau étaient également pénétrées, puisque la terre était encore brûlante et l’eau plus que bouillante.

L’acide se trouve en effet dans toutes les argiles, et ce premier produit de la combinaison du feu, de la terre et de l’eau, indique assez clairement le temps de la chute des eaux, et fixe l’époque de leur premier travail ; car aucune des antiques matières vitreuses en grandes masses, telles que les quartz, les jaspes, ni même les granits, ne contiennent l’acide : par conséquent aucune de ces matières, antérieures aux argiles, n’a été touchée ni travaillée par l’eau, dont le seul contact eût produit l’acide par la combinaison nécessaire de cet élément avec le feu qui embrasait encore la terre[1].

    est dure, pierreuse et assez semblable à une pierre à chaux blanche : c’est vraisemblablement cette fausse apparence qui a fait dire à M. de Fougeroux de Bondaroy (Mémoires de l’Académie des sciences, année 1765) que les pierres de la Solfatare étaient calcaires. M. Hamilton a fait la même méprise ; mais il paraît certain, dit le savant traducteur des Lettres de Ferber, que le plancher de la Solfatare et les collines qui l’environnent ne sont composés que de produits volcaniques convertis par les vapeurs du soufre en terre argileuse : « Je possède moi-même, ajoute M. le baron de Dietrich, un de ces morceaux moitié lave et moitié argile ; et cette argile, étant travaillée, a souffert les mêmes épreuves que l’argile ordinaire… On trouve dans la montagne de Poligni, à deux lieues de Rennes en Bretagne, une terre argileuse blanche ou colorée qui ne diffère en rien de celle de la Solfatare ; on la nomme mal à propos craie dans le pays… Aux endroits où les vapeurs sulfureuses sortent encore, cette argile est aussi molle que de la farine ; on peut y enfoncer un bâton sans trouver de fond, et à mesure que l’on s’éloigne de l’endroit des vapeurs, la terre est plus raffermie. » Note de M. le baron de Dietrich, p. 257 des Lettres de M. Ferber.

  1. Cette origine peut seule expliquer la triple affinité de l’acide avec le feu, la terre et l’eau, et sa formation par la combinaison de ces trois éléments, l’eau n’ayant pu s’unir à la terre vitreuse sans se joindre en même temps à la portion de feu dont cette terre était empreinte ; j’observerai de plus l’affinité marquée et subsistante entre les matières vitrescibles et l’acide argileux ou vitriolique, qui, de tous les acides, est le seul qui ait quelque prise sur ces substances : on a tenté leur analyse au moyen de cet acide ; mais cette analyse ne prouvera rien de plus que la grande analogie établie entre le principe acide et la terre vitrescible dès le temps où il fut universellement engendré dans cette terre à la première chute des eaux. Ces grandes vues de l’Histoire naturelle confirment admirablement les idées de l’illustre Stahl, qui de la seule force des analogies et du nombre des combinaisons où il avait vu l’acide vitriolique se travestir et prendre la forme de presque tous les autres acides,
  1. Il est difficile de savoir ce que Buffon entend par « l’acide universel ». On pourrait croire qu’il veut parler de l’acide silicique, qui entre dans la composition de toutes les roches primitives [Note de Wikisource : sur l’acide silicique, voyez notre note à l’article des verres primitifs], mais il dit un peu plus loin qu’aucune des « antiques matières vitreuses en grandes masses ne contiennent de l’acide ». Il y a donc simplement une erreur à ajouter à toutes celles qu’il commet quand il traite de chimie.

    [Note de Wikisource : On peut affirmer sans crainte de se tromper, au vu de la note suivante, que Buffon désigne sous le nom d’acide « universel » l’acide sulfurique (ou vitriolique, suivant la terminologie de l’époque), qui était considéré par Stahl comme le premier des acides, à la base de la formation de tous les autres. Buffon faisait de ce premier des acides un produit de la combinaison du feu, de la terre et de l’eau. Il est inutile de dire que les conceptions de Buffon et de Stahl sont absolument dépassées ; ce n’est qu’à la fin du xixe siècle, avec les travaux d’Arrhenius, que les chimistes donneront une définition satisfaisante de l’acidité, au moins en solution aqueuse.]