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grandes hauteurs. Au reste, ce n’est que dans les hautes montagnes vitreuses que l’on peut voir à nu la structure ancienne et la composition primitive du globe en masses de quartz, en veines de jaspe, en groupes de granit et en filons métalliques[1].

Quelque solide et durable que soit la matière du granit, le temps ne laisse pas de la miner et de la détruire à la longue, et des trois ou quatre substances dont il est composé, le quartz paraît être celle qui a le plus perdu de sa solidité, et cela est peut-être arrivé dès le premier temps qu’il s’est décrépité ; car quoique, étant d’une substance plus simple, il soit en lui-même plus solide que le feldspath et le schorl, cependant ces derniers verres, et surtout le feldspath, sont ce qu’il y a de plus durable dans le granit ; du moins il est certain que sur les faces des blocs de granit exposés à l’air aux flancs des montagnes, c’est la partie quartzeuse qui tombe en détriment la première avec le mica, et que les rhombes du feldspath restent nus et relevés à la surface du granit dépouillé du mica et des grains de quartz qui les environnaient. Cet effet se remarque surtout dans les granits où la quantité du feldspath est plus grande que celle du quartz ; et il provient de ce que les cristaux de cette même matière vitreuse sont en masses plus longues et plus profondément implantées que les grains du quartz dans presque tous les granits. Au reste, ces grains de quartz détachés par l’action des éléments humides et entraînés par les eaux s’arrondissent en roulant, et se réduisent bientôt en sables quartzeux et micacés[2], lesquels, comme les sables de grès, se convertissent ensuite en terres argileuses.

On trouve dans l’intérieur de la terre des granits décomposés, dont les grains n’ont que peu d’adhérence et dont le ciment est ramolli[3] ; cette décomposition se remarque

    comme les autres pierres… et le rouge perd de sa couleur à mesure qu’il se décompose… Il y a aussi d’énormes masses de roche grossière et de granit, avec des morceaux de quartz blanc et de cristal de roche qui y sont enchâssés… Le pied de la montagne de Saint-Ildefonse est de granit, dont on fait des meules de moulin qui ne sont pas de bonne qualité, parce qu’elles deviennent trop unies en s’usant, et qu’on est obligé de les piquer souvent. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles, p. 440 et 446… M. Bowles ajoute que le granit bleu ou gris de l’Escurial, et le granit rouge de Saint-Ildefonse, ne sont pas comme les granits ordinaires mêlés de spath, ce qui pourrait faire croire que ce sont plutôt des quartz que des granits. Ibid., p. 448.

  1. « Toutes ces énormes montagnes qui bordent la vallée de Chamouni sont dans la classe des primitives : on trouve cependant une ou deux carrières de gypse et de rochers calcaires parsemés dans le fond de la vallée ; on voit aussi quelques bancs d’ardoise appliqués contre le pied du mont Blanc et des montagnes de sa chaîne ; mais toutes ces pierres secondaires n’occupent que le fond ou les bords des vallées, et ne pénètrent point dans le cœur des montagnes : le centre de celles-ci est de roche primitive, et les sommités assises sur ce centre sont aussi de cette même roche. » Saussure, Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 431.
  2. La chaîne des monts Carpentins en Espagne est presque toute de granit ; il se résout en une espèce de gravier menu, par la dissolution du ciment qui unissait ses parties, et les petits cailloux de quartz restent détachés avec les feuilles de talc et de spath (feldspath) qui, ensuite avec le temps, se décomposent et se convertissent en terre parfaite qui n’est pas de la nature calcaire. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles, t. Ier, p. 260.
  3. C’est mal à propos que M. de Saussure veut établir (Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 106) diverses espèces de granit sur les divers degrés de dureté de cette pierre, et parce qu’il s’en trouve de tendre au point de s’égrener entre les doigts, puisque ce n’est ici qu’une décomposition ou destruction par l’air et par l’eau du vrai granit, si pourtant, c’est de ce granit que l’observateur entend parler, de quoi l’on peut douter avec raison, puisqu’il attribue le vice de ces granits devenus tendres à l’effet de « quelque matière saline ou argileuse, entrée dans leur composition » (Ibid.) ; mais plus bas il se rétracte, en observant que, si dès l’origine ce principe de mollesse fût entré dans leur combinaison, les fragments roulés que l’on trouve de ces granits « n’eussent pu, sans se réduire en sable, supporter les chocs qui les ont arrondis. » (Ibid.)