Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

action des acides ou du feu[NdÉ 1] ; sa cassure vitreuse démontre son essence, et tout nous porte à penser que c’est le premier verre qu’ait produit la nature[NdÉ 2].

Et, pour se former une idée de la manière dont ce verre a pu prendre autant de consistance et de dureté, il faut considérer qu’en général le verre en fusion n’acquiert aucune solidité s’il est frappé par l’air extérieur, et que ce n’est qu’en le laissant recuire lentement et longtemps dans un four chaud et bien fermé qu’on lui donne une consistance solide ; plus les masses de verre sont épaisses, et plus il faut de temps pour les consolider et les recuire : or, dans le temps que la masse du globe vitrifiée par le feu s’est consolidée par le refroidissement, l’intérieur de cette masse immense aura eu tout le temps de se recuire et d’acquérir de la solidité et de la dureté, tandis que la surface de cette même masse, frappée du refroidissement, n’a pu, faute de recuit, prendre aucune solidité ; cette surface exposée à l’action des éléments extérieurs s’est divisée, fêlée, fendillée et même réduite en écailles, en paillettes et en poudre, comme nous le voyons dans nos verres en fusion, exposés à l’action de l’air ; ainsi le globe dans ce premier temps a été couvert d’une grande quantité de ces écailles ou paillettes du verre primitif qui n’avait pu se recuire assez pour prendre de la solidité ; et ces parcelles ou paillettes du premier verre nous sont aujourd’hui représentées par les micas et les grains décrépités du quartz, qui sont ensuite entrés dans la composition des granits et de plusieurs matières vitreuses.

Les micas[NdÉ 3] n’étant dans leur première origine que des exfoliations du quartz frappé par le refroidissement, leur essence est au fond la même que celle du quartz : seulement la substance du mica est un peu moins simple, car il se fond à un feu très violent, tandis que le quartz y résiste ; et nous verrons dans la suite qu’en général plus la substance d’une matière est simple et homogène, moins elle est fusible : il paraît donc que, quand la couche extérieure du verre primitif s’est réduite en paillettes par la première action du refroidissement, il s’est mêlé à sa substance quelques parties hétérogènes contenues dans l’air dont il a été frappé, et dès lors la substance des micas, devenue moins pure que celle du quartz, est aussi moins réfractaire à l’action du feu.

Peu de temps avant que le quartz se soit entièrement consolidé en se recuisant lentement sous cette enveloppe de ses fragments décrépités et réduits en micas, le fer, qui de tous les métaux est le plus résistant au feu, a le premier occupé les fentes qui se formaient de distance en distance par la retraite que prenait la matière du quartz en se consolidant ; et c’est dans ces mêmes interstices que s’est formé le jaspe[NdÉ 4], dont la substance n’est au fond qu’une matière quartzeuse, mais imprégnée de matières métalliques qui lui ont donné de fortes couleurs, et qui néanmoins n’ont point altéré la simplicité de son essence, car il est aussi infusible que le quartz : nous regarderons donc le quartz, le jaspe et le mica comme les trois premiers verres primitifs, et en même temps comme les trois matières les plus simples de la nature.

Ensuite et à mesure que la grande chaleur diminuait à la surface du globe, les matières sublimées tombant de l’atmosphère se sont mêlées en plus ou moins grande quantité avec le verre primitif, et de ce mélange ont résulté deux autres verres, dont la substance, étant moins simple, s’est trouvée bien plus fusible ; ces deux verres sont le feldspath et le schorl : leur base est également quartzeuse ; mais le fer et d’autres matières hétérogènes s’y trouvent mêlées au quartz, et c’est ce qui leur a donné une fusibilité à peu près égale à celle de nos verres factices.

On pourrait donc dire en toute rigueur qu’il n’y a qu’un seul verre primitif, qui est le

  1. Le quartz est fusible à la flamme de l’alcool alimenté par l’oxygène pur.
  2. J’ai à peine besoin de dire que tout cela est purement hypothétique.
  3. Le mica est formé d’un mélange de silicates ; on ne peut donc pas le considérer comme « des exfoliations du quartz ».
  4. Le jaspe est un quartz opaque, coloré par des sels de fer.