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été portées par les oiseaux : ces plantes créent à la fin de chaque saison des atomes de terreau, qui s’accroît d’une année à l’autre ; les oiseaux, la mer et le vent apportent d’une île voisine sur ce commencement de terreau les graines de quelques-unes des plantes à mousse qui y végètent durant la belle saison. Quoique ces plantes ne soient pas véritablement des mousses, elles leur ressemblent beaucoup… Toutes, ou du moins la plus grande partie, croissent d’une manière analogue à ces régions, et propre à former du terreau et du sol sur les rochers stériles. À mesure que ces plantes s’élèvent, elles se répandent en tiges et en branches qui se tiennent aussi près l’une de l’autre que cela est possible ; elles dispersent ainsi de nouvelles graines, et enfin elles couvrent un large canton ; les fibres, les racines, les tuyaux et les feuilles les plus inférieures tombent peu à peu en putréfaction, produisent une espèce de tourbe ou de gazon, qui insensiblement se convertit en terreau et en sol ; le tissu serré de ces plantes empêche l’humidité qui est au-dessous de s’évaporer, fournit ainsi à la nutrition de la partie supérieure, et revêt à la longue tout l’espace d’une verdure constante… Je ne puis pas oublier, ajoute ce naturaliste voyageur, la manière particulière dont croît une espèce de gramen dans l’île du Nouvel-An, près de la terre des États, et à la Géorgie australe. Ce gramen est perpétuel, et il affronte les hivers les plus froids ; il vient toujours en touffes ou panaches à quelque distance l’un de l’autre : chaque année les bourgeons prennent une nouvelle tête, et élargissent le panache jusqu’à ce qu’il ait quatre ou cinq pieds de haut, et qu’il soit deux ou trois fois plus large au sommet qu’au pied. Les feuilles et les tiges de ce gramen sont fortes et souvent de trois à quatre pieds de long. Les phoques et les pingouins se réfugient sous ces touffes, et comme ils sortent souvent de la mer tout mouillés, ils rendent si sales et si boueux les sentiers entre les panaches, qu’un homme ne peut y marcher qu’en sautant de la cime d’une touffe à l’autre. Ailleurs les oiseaux appelés nigauds s’emparent de ces touffes et y font leurs nids : ce gramen et les éjections des phoques, des pingouins et des nigauds donnent peu à peu une élévation plus considérable au sol du pays[1]. »

On voit, par ce récit, que la nature se sert de tous les moyens possibles pour donner à la terre les germes de sa fécondité, et pour la couvrir de ce terreau ou terre végétale qui est la base et la matrice de toutes ses productions. Nous avons déjà exposé, à l’article des volcans[2], comment les laves et toutes les autres matières volcanisées se convertissent avec le temps en terre féconde ; nous avons démontré la conversion du verre primitif en argile par l’intermède de l’eau : cette argile, mêlée des détriments des animaux marins, n’a pas été longtemps stérile ; elle a bientôt produit et nourri des plantes, dont la décomposition a commencé de former les couches de terre végétale, qui n’ont pu qu’augmenter partout où ce travail successif de la nature n’a point trouvé d’obstacle ou souffert de déchet.

On a vu ci-devant que l’argile et le limon, ou, si l’on veut, la terre argileuse et la terre limoneuse, sont deux matières fort différentes, surtout si l’on compare l’argile pure au limon pur, l’une ne provenant que du verre primitif décomposé par les éléments humides, et l’autre n’étant au contraire que le résidu ou produit ultérieur de la décomposition des corps organisés ; mais dès que les couches extérieures de l’argile ont reçu les bénignes impressions du soleil, elles ont acquis peu à peu tous les principes de la fécondité par le mélange des poussières de l’air et du sédiment des pluies ; et bientôt les argiles couvertes ou mêlées de ces limons terreux sont devenues presque aussi fécondes que la terre limoneuse ; toutes deux sont également spongieuses, grasses, douces au toucher, et suscepti-

  1. Voyez les Observations de M. Forster, à la suite du Second Voyage de Cook, t. V, p. 30 et suiv.
  2. Voyez les Époques de la Nature, article des laves, t. II.