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très différents : le premier sous la forme de terreau, qui est le détriment immédiat des animaux et des végétaux, et le dernier sous la forme de limon, qui est le dernier résidu de leur entière décomposition. Ce limon, comme l’argile et la craie, n’est jamais parfaitement pur, et ces trois terres, quoique les plus simples de toutes, sont presque toujours mêlées de particules hétérogènes et du dépôt des poussières de toute nature répandues dans l’air et dans l’eau.

Sur la grande couche d’argile qui enveloppe le globe, et sur les bancs calcaires auxquels cette même argile sert de base, s’étend la couche universelle de la terre végétale, qui recouvre la surface entière des continents terrestres, et cette même terre n’est peut-être pas en moindre quantité sur le fond de la mer, où les eaux des fleuves la transportent et la déposent de tous les temps et continuellement, sans compter celle qui doit également se former des détriments de tous les animaux et végétaux marins. Mais, pour ne parler ici que de ce qui est sous nos yeux, nous verrons que cette couche de terre, productrice et féconde, est toujours plus épaisse dans les lieux abandonnés à la seule nature que dans les pays habités, parce que cette terre étant le produit des détriments des végétaux et des animaux, sa quantité ne peut qu’augmenter partout où l’homme ou le feu, son ministre de destruction, n’anéantissent pas les êtres vivants et végétants. Dans ces terres indépendantes de nous et où la nature seule règne, rien n’est détruit ni consommé d’avance ; chaque individu vit son âge ; les bois, au lieu d’être abattus au bout de quelques années, s’élèvent en futaies et ne tombent de vétusté que dans la suite des siècles, pendant lesquels leurs feuilles, leurs menus branchages, et tous leurs déchets annuels et superflus, forment à leur pied des couches de terreau, qui bientôt se convertit en terre végétale, dont la quantité devient ensuite bien plus considérable par la chute de ces mêmes arbres trop âgés. Ainsi, d’année en année, et bien plus encore de siècle en siècle, ces dépôts de terre végétale se sont augmentés partout où rien ne s’opposait à leur accumulation.

Cette couche de terre végétale est plus mince sur les montagnes que dans les vallons et les plaines, parce que les eaux pluviales dépouillent les sommets et les pentes de ces éminences, et entraînent le limon qu’elles ont délayé ; les ruisseaux, les rivières, le charrient et le déposent dans leur lit, ou le transportent jusqu’à la mer ; et, malgré cette déperdition continuelle des résidus de la nature vivante, sa force productrice est si grande, que la quantité de ce limon végétal augmenterait partout, si nous n’affamions pas la terre par nos jouissances anticipées et presque toujours immodérées. Comparez à cet égard les pays très anciennement habités avec les contrées nouvellement découvertes : tout est forêt, terreau, limon dans celles-ci ; tout est sable aride ou pierre nue dans les autres.

Cette couche de terre la plus extérieure du globe est non seulement composée des détriments des végétaux et des animaux, mais encore des poussières de l’air et du sédiment de l’eau des pluies et des rosées : dès lors elle se trouve mêlée des particules calcaires ou vitreuses, dont ces deux éléments sont toujours plus ou moins chargés ; elle se trouve aussi plus grossièrement mélangée de sable vitreux ou de graviers calcaires dans les contrées cultivées par la main de l’homme ; car le soc de la charrue mêle avec cette terre les fragments qu’il détache de la couche inférieure, et, loin de prolonger la durée de sa fécondité, souvent la culture amène la stérilité. On le voit dans ces champs en montagnes où la terre est si mêlée, si couverte de fragments et de débris de pierres, que le laboureur est obligé de les abandonner ; on le voit aussi dans ces terres légères qui portent sur le sable ou la craie, et dont, après quelques années, la fécondité cesse par la trop grande quantité de ces matières stériles que le labour y mêle : on ne peut leur rendre ni leur conserver de la fertilité qu’en y portant des fumiers et d’autres amendements de matières analogues à leur première nature. Ainsi cette couche de terre végétale n’est presque nulle part un limon vierge, ni même une terre simple et pure : elle serait telle si elle ne con-