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moins de deux ans. « En faisant nettoyer un canal, je remarquai, dit-il, que tout le fond était comme tapissé d’un tissu fort serré de filets pierreux, dont les plus gros n’avaient que deux lignes de diamètre et qui se croisaient en tout sens. Les filets étaient de véritables tuyaux moulés sur des racines d’ormes fort menues qui s’y étaient desséchées et qu’on pouvait aisément en tirer. La couleur de ces tuyaux était grise, et leurs parois, qui avaient un peu plus d’un tiers de ligne d’épaisseur, étaient assez fortes pour résister sans se briser à la pression des doigts. À ces marques, je ne pus méconnaître l’ostéocolle, mais je ne pus aussi m’empêcher d’être étonné du peu de temps qu’elle avait mis à se former ; car ce canal n’était construit que depuis environ deux ans et demi, et certainement les racines qui avaient servi de noyau à l’ostéocolle étaient de plus nouvelle date[1]. » Nous avons d’autres exemples d’incrustations qui se font encore en moins de temps dans de certaines circonstances. Il est dit, dans l’Histoire de l’Académie des sciences[2], que M. de La Chapelle avait apporté une pétrification fort épaisse, tirée de l’aqueduc d’Arcueil, et qu’il avait appris des ouvriers, que ces pétrifications ou incrustations se font par lits chaque année ; que pendant l’hiver il ne s’en fait point, mais seulement pendant l’été ; et que, quand l’hiver a été très pluvieux et abondant en neigés, les pétrifications qui se forment pendant l’été suivant sont quelquefois d’un pied d’épaisseur ; ce fait est peut-être exagéré, mais au moins on est sûr que souvent en une seule année ces dépôts pierreux sont de plus d’un pouce ou deux : on en trouve un exemple dans la même Histoire de l’Académie[3]. Le ruisseau de craie, près de Besançon, enduit d’une incrustation pierreuse les tuyaux de bois de sapin où l’on fait passer son eau pour l’usage de quelques forges ; il forme dans leur intérieur en deux ans d’autres tuyaux d’une pierre compacte d’environ un pouce et demi d’épaisseur. M. de Luc dit qu’on voit dans le Valais des eaux

    culièrement sur les bords de la rivière de Louette. « L’ostéocolle d’Étampes, dit cet académicien, forme des tuyaux longs depuis trois ou quatre pouces jusqu’à un pied, un pied et demi et plus : le diamètre de ces tuyaux est de deux, trois, quatre lignes et même d’un pouce ; les uns, et c’est le plus grand nombre, sont cylindriques, les autres sont formés de plusieurs portions de cercles, qui réunies forment une colonne à plusieurs pans. Il y en a d’aplatis ; les bords de quelques autres sont roulés en dedans suivant leur longueur, et ne sont par conséquent que demi-cylindriques ; plusieurs n’ont qu’une seule couche, mais beaucoup plus en ont deux ou trois. On dirait que ce sont autant de cylindres renfermés les uns dans les autres : le milieu d’un tuyau cylindrique, fait d’une ou de deux couches, en contient quelquefois une troisième qui est prismatique triangulaire. Quelques-uns de ces tuyaux sont coniques ; d’autres, ceux-ci sont cependant rares, sont courbés et forment presque un cercle. De quelque figure qu’ils soient, leur surface interne est lisse, polie et ordinairement striée ; l’extérieure est raboteuse et bosselée ; la couleur est d’un assez beau blanc de marne ou de craie à l’extérieur ; celle de la surface interne est quelquefois d’un jaune tirant sur le rougeâtre, et, si elle est blanche, ce blanc est toujours un peu sale… Il y a aussi de l’ostéocolle sur l’autre bord de la rivière, mais en moindre quantité… On en trouve encore de l’autre côté de la ville, dans un endroit qui regarde les moulins à papier qui sont établis sur une branche de la Chalouette, et sur les bords des fossés de cette ville qui sont de ce côté…

    » M. Guettard rapporte encore plusieurs observations pour prouver que la formation de l’ostéocolle des environs d’Étampes n’est due qu’à des plantes qui se sont chargées de particules de marne et de sable des montagnes voisines, qui auront été entraînées par des averses d’eau et arrêtées dans les mares par les plantes qui y croissent, et sur lesquelles ces particules de marne et de sable se seront déposées successivement. » Voyez les Mémoires de l’Académie des sciences, année 1754, p. 269 jusqu’à 288.

  1. Histoire de l’Académie des sciences, année 1761, p. 24.
  2. Idem, année 1713, p. 23.
  3. Année 1720, p. 23.