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transparentes, avec une figure de cristallisation régulière ; ce sont ordinairement de petites colonnes à pans terminées par des pyramides triangulaires ; et ces colonnes se cassent toujours obliquement. Cette matière est le spath, et les concrétions qui en contiennent une grande quantité forment des albâtres plus transparents que les autres, mais qui sont en même temps plus difficiles à travailler.

Il ne faut pas bien des siècles ni même un très grand nombre d’années, comme on pourrait le croire, pour former les albâtres : on voit croître les stalactites en assez peu de temps ; on les voit se grouper, se joindre et s’étendre pour ne former que des masses communes, en sorte qu’en moins d’un siècle elles augmentent peut-être du double de leur volume. Étant descendu, en 1759, dans les mêmes grottes d’Arcy pour la seconde fois, c’est-à-dire dix-neuf ans après ma première visite, je trouvai cette augmentation de volume très sensible et plus considérable que je ne l’avais imaginé ; il n’était plus possible de passer dans les mêmes défilés par lesquels j’avais passé en 1740 ; les routes étaient devenues trop étroites ou trop basses ; les cônes et les cylindres s’étaient allongés ; les incrustations s’étaient épaissies ; et je jugeai qu’en supposant égale l’augmentation successive de ces concrétions, il ne faudrait peut-être pas deux siècles pour achever de remplir la plus grande partie de ces excavations.

L’albâtre est donc une matière qui, se produisant et croissant chaque jour, pourrait, comme le bois, se mettre, pour ainsi dire, en coupes réglées à deux ou trois siècles de distance ; car, en supposant qu’on fît aujourd’hui l’extraction de tout l’albâtre contenu dans quelques-unes des cavités qui en sont remplies, il est certain que ces mêmes cavités se rempliraient de nouveau d’une matière toute semblable, par les mêmes moyens de l’infiltration et du dépôt des eaux gouttières qui passent à travers les couches supérieures de la terre et les joints des bancs calcaires.

Au reste, cet accroissement des stalactites, qui est très sensible et même prompt dans certaines grottes, est quelquefois très lent dans d’autres. « Il y a près de vingt ans, dit M. l’abbé de Sauvages, que je cassai plusieurs stalactites dans une grotte où personne n’avait encore touché ; à peine se sont-elles allongées aujourd’hui de cinq ou six lignes : on en voit couler des gouttes d’eau chargées de suc pierreux, et le cours n’en est interrompu que dans les temps de sécheresse[1]. » Ainsi la formation de ces concrétions dépend non seulement de la continuité de la stillation des eaux, mais encore de la qualité des rochers, et de la quantité de particules pierreuses qu’elles en peuvent détacher : si les rochers ou bancs supérieurs sont d’une pierre très dure, les stalactites auront le grain très fin et seront longtemps à se former et à croître ; elles croîtront au contraire en d’autant moins de temps que les bancs supérieurs seront de matières plus tendres et plus poreuses, telles que sont la craie, la pierre tendre et la marne.

La plupart des albâtres se décomposent à l’air, peut-être en moins de temps qu’il n’en faut pour les former : « La pierre dont on se sert à Venise pour la construction des palais et des églises, est une pierre calcaire blanche, qu’on tire d’Istria, parmi laquelle il y a beaucoup de stalactites d’un tissu compact et souvent d’un diamètre deux fois plus grand que celui du corps d’un homme très gros ; ces stalactites se forment en grande abondance dans les voûtes souterraines des montagnes calcaires du pays. Ces pierres se décomposent si facilement, que l’on vit, il y a quelques années, à l’entablement supérieur de la façade d’une belle église neuve, bâtie de cette pierre, plusieurs grandes stalactites qui s’étaient formées successivement par l’égouttement lent des eaux qui avaient séjourné sur cet entablement : c’est de la même manière qu’elles se forment dans les souterrains des montagnes, puisque leur grain ou leur composition y ressemble[2]. »

  1. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1746, p. 747.
  2. Lettres de M. Ferber, p. 41 et 42.