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travailler et polir par des ouvriers accoutumés à travailler le marbre ; ils reconnurent, avec moi, que c’était du véritable albâtre qui ne différait des plus beaux albâtres qu’en ce qu’il est d’un jaune un peu plus pâle et d’un poli moins vif ; mais la composition de la matière et sa disposition par ondes ou veines circulaires est absolument la même[1] : ainsi tous les albâtres doivent leur origine aux concrétions produites par l’infiltration des eaux à travers les matières calcaires. Plus les bancs de ces matières sont épais et durs, plus les albâtres qui en proviennent seront solides à l’intérieur et brillants au poli. L’albâtre, qu’on appelle oriental, ne porte ce nom que parce qu’il a le grain plus fin, les couleurs plus fortes et le poli plus vif que les autres albâtres, et l’on trouve en Italie, en Sicile, à Malte, et même en France[2] de ces albâtres qu’on peut nommer orientaux par la beauté de leurs couleurs et l’éclat de leur poli ; mais leur origine et leur formation sont les mêmes que celles des albâtres communs, et leurs différences ne doivent être attribuées qu’à la qualité différente des pierres calcaires qui en ont fourni la matière : si cette pierre s’est trouvée dure, compacte et d’un grain fin, l’eau ne pouvant la pénétrer qu’avec beaucoup de temps, elle ne se chargera que de molécules très fines et très denses qui formeront des concrétions plus pesantes, et d’un grain plus fin que celui des stalactites produites par des pierres plus grossières, en sorte qu’il doit se trouver dans ces concrétions, ainsi que dans les albâtres, de grandes variétés, tant pour la densité que pour la finesse du grain et l’éclat du poli.

La matière pierreuse que l’eau détache en s’infiltrant dans les bancs calcaires est quelquefois si pure et si homogène, que les stalactites qui en résultent sont sans couleurs et

  1. Lorsque l’on scie transversalement une grosse stalactite ou colonne d’albâtre, on voit sur la tranche les couches circulaires dont la stalactite est formée ; mais, si on la scie sur sa longueur, l’albâtre ne présente que des veines longitudinales, en sorte que le même albâtre paraît être différent, selon le sens dans lequel on le travaille.
  2. On trouve à deux lieues de Mâcon, du côté du midi, une grande carrière d’albâtre très beau et très bien coloré, qui a beaucoup de transparence en plusieurs endroits ; cette carrière est située dans la montagne que l’on appelle Solutrie, dans laquelle il s’est fait un éboulement considérable par son propre poids. (Note communiquée par M. Dumorey.) — « Les eaux d’Aix en Provence, dit M. Guettard, produisent un albâtre brun foncé, mêlé de taches blanchâtres qui le varient agréablement, et le font prendre pour un albâtre oriental… Cet albâtre s’est formé dans une ancienne conduite faite par les Romains, et qui porte à Aix l’eau d’une source qui est à une petite demi-lieue de cette ville… Cette espèce d’aqueduc était bouché en entier par la substance dont il s’agit… Un morceau de cet albâtre, qui est dans le cabinet de M. le duc d’Orléans, a pris un très beau poli, qui fait voir que cet albâtre est composé de plusieurs couches d’une ligne ou à peu près d’épaisseur, et qui paraissent elles-mêmes, à la loupe, n’être qu’un amas de quelques autres petites couches très minces ; ces couches sont ondées, et, rentrant ainsi les unes dans les autres, elles font un tout serré et compact

    » Quant à sa formation, on ne peut pas s’empêcher de reconnaître qu’elle est la suite des dépôts successifs d’une matière qui a été charriée par un fluide : les ondes de deux larges bandes qu’on voit sur le côté du morceau en question le démontrent invinciblement ; elles semblent même prouver que la pierre a dû se former dans un endroit où l’eau était resserrée et contrainte : en effet, cette eau devait souffrir quelque retardement sur les côtés du canal, et accélérer son mouvement dans le milieu ; ainsi l’eau de ce milieu devait agir et presser l’eau des côtés, qui en résistant ne pouvait, par conséquent, que souffrir différentes courbures et occasionner, par une suite nécessaire, des sinuosités que le dépôt a conservées. La rapidité, ou le plus grand mouvement du milieu de l’eau, a encore dû être cause de la matière la plus fine et la plus pure : les parties les plus grossières et les plus lourdes ont dû être rejetées sur les bords et s’y déposer aisément, vu la tranquillité du mouvement de l’eau dans ces endroits. » Mémoires de l’Académie des sciences, année 1754, p. 131 et suiv.