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supérieure attachée à la voûte laisse tomber par gouttes cette matière superflue qui forme sur le sol des concrétions de même nature, lesquelles grossissent, s’élèvent et se joignent enfin à la stalactite supérieure, en sorte qu’elles forment par leur réunion une espèce de colonne d’autant plus solide et plus grosse, qu’elle s’est faite en plus de temps ; car le liquide pierreux augmente ici également le volume et la masse, en se déposant sur les surfaces et pénétrant l’intérieur de ces stalactites, lesquelles sont d’abord légères et friables, et acquièrent ensuite de la solidité par l’addition de cette même matière pierreuse qui en remplit les pores ; et ce n’est qu’alors que ces masses concrètes prennent la nature et le nom d’albâtre : elles se présentent en colonnes cylindriques, en cônes plus ou moins obtus, en culs-de-lampe, en tuyaux et aussi en incrustations figurées contre les parois verticales ou inclinées de ces excavations, et en nappes déliées ou en tables épaisses et assez étendues sur le sol ; il paraît même que cette concrétion spathique, qui est la première ébauche de l’albâtre, se forme aussi à la surface de l’eau stagnante dans ces grottes, d’abord comme une pellicule mince, qui peu à peu prend de l’épaisseur et de la consistance, et présente par la suite une espèce de voûte qui couvre la cavité ou encore pleine ou épuisée d’eau[1]. Toutes ces masses concrètes sont de même nature ; je m’en suis assuré en faisant tirer et enlever quelques blocs des unes et des autres, pour les faire

    pendant quelque temps, en forme de gouttes, au haut d’une espèce de voûte formée par les bancs du rocher ; là, de petites molécules cristallines, que l’eau entraîne en passant à travers les bancs, se lient par leurs côtés pendant que la goutte demeure suspendue, et y forme de petits tuyaux, à mesure que l’air s’échappe par la partie inférieure de la petite bulle qu’il formait dans la goutte d’eau : ces tuyaux s’allongent peu à peu en grossissant, par une accession continuelle de nouvelle matière, puis ils se remplissent ; de sorte que les cylindres qui en résultent sont ordinairement arrondis vers le bout d’en bas, tandis qu’ils sont encore suspendus au rocher ; mais dès qu’ils s’unissent avec les particules cristallines qui, tombant plus vite, forment un sédiment à plusieurs couches au bas de la grotte, ils ressemblent alors à des arbres, qui du bas s’élèvent jusqu’au comble de la voûte.

    Ces cylindres acquièrent un plus grand diamètre en bas par le moyen de la nouvelle matière qui coule le long de leur superficie, et ils deviennent souvent raboteux, à cause des particules cristallines qui s’y arrêtent en tombant dessus, comme une pluie menue, lorsque l’eau abonde plus qu’à l’ordinaire dans l’entre-deux des rochers : la configuration intérieure de leur masse, faite à rayons et à couches concentriques, quelquefois différemment colorées par une petite quantité de terre fine qui s’y mêle et les rend semblables aux aubiers des arbres, jointe aux circonstances dont on vient de parler, peuvent tromper les plus éclairés.

    Il se forme aussi plusieurs autres masses, plus ou moins régulières, de stalactite dans des cavernes de pierre à chaux et de marbre ; ces masses ne diffèrent entre elles, par rapport à leur matière, que par le plus grand ou le moindre mélange de terre fine de différentes couleurs, que l’eau enlève souvent du roc même avec les particules cristallines, ou qu’elle amène des couches de terre supérieures aux roches dans les couches de stalactite. Traité des Pétrifications, in-4o, Paris, 1742, p. 4 et suiv.

  1. Dans la caverne de la Balme (au mont Vergi), j’étais étonné d’entendre quelquefois le fond résonner sous nos pieds, comme si nous eussions marché sur une voûte retentissante ; mais, en examinant le sol, je vis qu’il était d’une matière cristallisée, et que je marchais sur un faux fond, soutenu à une distance assez grande du vrai fond de la galerie ; je ne pouvais comprendre comment s’était formée cette croûte ainsi suspendue, lorsque, en observant des eaux stagnantes au fond de la caverne, je vis qu’il se formait à leur surface une croûte cristalline, d’abord semblable à une poussière incohérente, mais qui peu à peu prenait de l’épaisseur et de la consistance, au point que j’avais peine à la rompre à grands coups de marteau partout où elle avait deux pouces d’épaisseur. Je compris alors que si ces eaux venaient à s’écouler, cette croûte, contenue par les bords, formerait un faux fond semblable à celui qui avait résonné sous nos pieds. Saussure, Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 388.