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On trouve encore sur les pentes douces des collines calcaires dans les champs cultivés une grande quantité de pétrifications de coquilles et de crustacés entières et bien conservées, que le soc de la charrue a détachées et enlevées du premier banc qui gît immédiatement sous la couche de terre végétale ; cela s’observe dans tous les lieux où ce premier banc est d’une pierre tendre et gelisse ; les morceaux de moellon que le soc enlève se réduisent en graviers et en poussière au bout de quelques années d’exposition à l’air, et laissent à découvert les pétrifications qu’ils contenaient et qui étaient auparavant enveloppées dans la matière pierreuse : preuve évidente que ces pétrifications sont plus dures et plus solides que la matière qui les environnait, et que la décomposition de la coquille a augmenté la densité de la portion de cette matière qui en a rempli la capacité intérieure ; car ces pétrifications en forme de coquilles, quoique exposées à la gelée et à toutes les injures de l’air, y ont résisté sans se fendre ni s’égrener, tandis que les autres morceaux de pierre enlevés du même banc ne peuvent subir une seule fois l’action de la gelée sans s’égrener ou se diviser en écailles. On doit donc, dans ce cas, regarder la décomposition de la coquille comme la substance spathique qui a augmenté la densité de la matière pierreuse contenue et moulée dans son intérieur, laquelle, sans cette addition de substance tirée de la coquille même, n’aurait pas eu plus de solidité que la pierre environnante[1]. Cette remarque vient à l’appui de toutes les observations par lesquelles on peut démontrer que l’origine des pierres en général et de la matière spathique en particulier doit être rapportée à la décomposition des coquilles par l’intermède de l’eau. J’ai de plus observé que l’on trouve assez communément une espèce de pétrification dominante dans chaque endroit, et plus abondante qu’aucune autre : il y aura, par exemple, des milliers de cœurs de bœuf (bucardites) dans un canton, des milliers de cornes d’Ammon dans un autre, autant d’oursins dans un troisième, souvent seuls, ou tout au plus accompagnés d’autres espèces en très petit nombre ; ce qui prouve encore que la matière des bancs où se trouvent ces pétrifications n’a pas été amenée et transportée confusément par le mouvement des eaux, mais que certains coquillages se sont établis sur le lit inférieur, et qu’après y avoir vécu et s’être multipliés en grand nombre, ils y ont laissé leurs dépouilles.

L’on trouve encore sur la pente des collines calcaires de gros blocs de pierres calcaires grossières, enterrées à une petite profondeur, qu’on appelle vulgairement des pierres à four parce qu’elles résistent sans se fendre aux feux de nos fours et fourneaux, tandis que toutes les autres pierres qui résistent à la gelée et au plus grand froid ne peuvent supporter ce même degré de feu sans s’éclater avec bruit : communément, les pierres légères, poreuses, et gelisses peuvent être chauffées jusqu’au point de se convertir en chaux sans se casser, tandis que les plus pesantes et les plus dures sur lesquelles la gelée ne fait aucune impression ne peuvent supporter la première action de ce même feu. Or, notre pierre à four est composée de gros graviers calcaires détachés des rochers supérieurs, et qui, se trouvant recouverts par une couche de terre végétale, se sont fortement agglutinés par leurs angles sans se joindre de près, et ont laissé entre eux des intervalles que la matière spathique n’a pas remplis ; cette pierre, criblée de petits vides, n’est en effet qu’un amas de graviers durs, dont la plupart sont colorés de jaune ou de rougeâtre, et dont la réunion ne paraît pas s’être faite par le suc spathique ; car on n’y voit aucun de ces points brillants qui le décèlent dans les autres pierres auxquelles il sert de ciment :

  1. « On distingue très bien, dit M. l’abbé de Sauvages, les sucs pierreux dans les rochers de Navacelle, au moyen de certains noyaux qui y sont répandus, et dans lesquels ce suc se trouve ramassé et cristallisé. Ces noyaux, qui arrêtent le marteau des tailleurs de pierre, ne sont que des coquillages que la pétrification a défigurés : le test de la coquille semble s’être changé en une matière cristalline qui en occupe la place. » Mémoires de l’Académie des sciences, année 1746, p. 716.