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mation ; mais, indépendamment de ces deux ciments, chacun analogue aux substances qu’ils pénètrent, et dont ils réunissent et consolident les parties intégrantes, il y a une autre sorte de gluten ou ciment commun aux matières calcaires et aux substances formées des débris de matières vitreuses, dont l’effet est encore plus prompt que celui du suc pétrifiant, calcaire ou vitreux. Ce gluten est le bitume qui, dès le premier temps de la mort et de la décomposition des êtres organisés, s’est formé dans le sein de la terre, et a imprégné les eaux de la mer, où il se trouve quelquefois en grande quantité. Il y a de certaines plages voisines des côtes de la Sicile, près de Messine, et de celles de Cadix, en Espagne[1], où l’on a observé qu’en moins d’un siècle les graviers, les petits cailloux et les sables, de quelque nature qu’ils soient, se réunissent en grandes masses dures et solides, et dont la pétrification sous l’eau ne fait que s’augmenter et se consolider de plus en plus avec le temps ; nous en parlerons plus en détail lorsqu’il sera question des pierres mélangées de détriments calcaires et de débris vitreux ; mais il est bon de reconnaître d’avance l’existence de ces trois glutens ou ciments différents, dont le premier et le second, c’est-à-dire le suc cristallin et le suc spathique réunis au bitume, ont augmenté la dureté des pierres de ces deux genres lorsqu’elles se sont formées sous l’eau : ce dernier ciment paraît être celui de la plupart des pierres schisteuses, dans lesquelles il est souvent assez abondant pour les rendre inflammables ; et quoique la présence de ce ciment ne soit pas évidente dans les pierres calcaires, l’odeur qu’elles exhalent lorsqu’on les taille indique qu’il est entré de la matière inflammable dans leur composition.

Mais revenons à notre objet principal, et après avoir considéré la formation et la composition des pierres calcaires, suivons en détail l’examen des variétés de la nature dans leur décomposition : après avoir vu les coupes perpendiculaires des rochers dans les carrières, il faut aussi jeter un coup d’œil sur les pierres errantes qui s’en sont détachées, et dont il y a trois espèces assez remarquables. Les pierres de la première sorte sont des blocs informes qui se trouvent communément sur la pente des collines et jusque dans les vallons ; le grain de ces pierres est fin et semé de points brillants sans aucun mélange ni vestige de coquilles ; l’une des surfaces de ces blocs est hérissée de mamelons assez longs, la plupart figurés en cannelures et comme travaillés de main d’homme, tandis que les autres surfaces sont unies : on reconnaît donc évidemment le travail de l’eau sur ces blocs, dont la surface cannelée portait horizontalement sur le banc duquel ils ont été détachés ; leur composition n’est qu’un amas de congélations grossières faites par les stillations de l’eau à travers une matière calcaire tout aussi grossière.

Les pierres de la seconde sorte ne sont pas des blocs informes ; ils affectent au contraire des figures presque régulières : ces blocs ne se trouvent pas communément sur la pente des collines ni dans leurs vallons, mais plutôt dans les plaines au-dessus des montagnes calcaires, et la substance dont ils sont composés est ordinairement blanche ; les uns sont irrégulièrement sphériques ou elliptiques, les autres hémisphériques, et quelquefois on en trouve qui sont étroits dans leur milieu, et qui ressemblent à deux moitiés de

  1. Cadix est situé dans une presqu’île, sur des rochers, où vient se briser la mer. Ces rochers sont un mélange de différentes matières, comme marbre, quartz, spath, cailloux et coquilles réduites en mortier avec le sable et le gluten ou bitume de la mer, lequel est si puissant dans cet endroit, que l’on observe, dans les décombres qu’on y jette, que les briques, les pierres, le sable, le plâtre, les coquilles, etc., se trouvent, après un certain temps, si bien unis et attachés ensemble, que le tout ne paraît qu’un morceau de pierre. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles. — M. le prince de Pignatelli d’Egmont, amateur très éclairé de toutes les grandes et belles connaissances, a eu la bonté de me donner pour le Cabinet du Roi un morceau de cette même nature, tiré sur le rivage de la mer de Sicile, où cette pétrification s’opère en très peu de temps. Fazzelo, de Rebus Siculis, attribue à l’eau du détroit de Carybde cette propriété de cimenter le gravier de ses rivages.