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cipale et peut-être unique de l’amélioration des terres est le mélange d’une autre terre différente, et dont les qualités se compensent et font de deux terres stériles une terre féconde[1]. Ce n’est pas que les sels en petite quantité ne puissent aider les progrès de la végétation et en augmenter le produit ; mais les effets du mélange convenable des terres sont indépendants de cette cause particulière ; et ce serait beaucoup accorder à l’opinion vulgaire, que d’admettre dans la marne des principes plus actifs pour la végétation que dans toute autre terre, puisque par elle-même la marne est d’autant plus stérile qu’elle est plus pure et plus approchante de la nature de la craie.

Comme les marnes ne sont que des terres plus ou moins mélangées et formées assez nouvellement par les dépôts et les sédiments des eaux pluviales, il est rare d’en trouver à quelque profondeur dans le sein de la terre ; elles gisent ordinairement sous la couche de la terre végétale, et particulièrement au bas des collines et des rochers de pierres calcaires qui portent sur l’argile ou le schiste. Dans certains endroits la marne se trouve en forme de noyaux ou de pelotes, dans d’autres elle est étendue en petites couches horizontales ou inclinées suivant la pente du terrain ; et lorsque les eaux pluviales, chargées de cette matière, s’infiltrent à travers les couches de la terre, elles la déposent en forme de concrétions et de stalactites, qui sont formées de couches concentriques et irrégulièrement groupées. Ces concrétions provenant de la craie et de la marne ne prennent jamais autant de dureté que celles qui se forment dans les rochers de pierres calcaires dures ; elles sont aussi plus impures ; elles s’accumulent irrégulièrement au pied des collines pour y former des masses d’une substance à demi pierreuse, légère et poreuse, à laquelle on donne le nom de tuf, qui souvent se trouve en couches assez épaisses et très étendues au bas des collines argileuses couronnées de rochers calcaires.

C’est aussi à cette même matière crétacée et marneuse qu’on doit attribuer l’origine de toutes les incrustations produites par les eaux des fontaines, et qui sont si communes dans tous les pays où il y a de hautes collines de craie et de pierres calcaires. L’eau des pluies, en filtrant à travers les couches de ces matières calcaires, se charge des particules les plus ténues qu’elle soutient et porte avec elle quelquefois très loin ; elle en dépose la plus grande partie sur le fond et contre les bords des routes qu’elle parcourt, et enveloppe ainsi toutes les matières qui se trouvent dans son cours : aussi voit-on des substances de toute espèce et de toute figure, revêtues et incrustées de cette matière pierreuse qui non seulement en recouvre la surface, mais se moule aussi dans toutes les cavités de leur intérieur ; et c’est à cet effet très simple qu’on doit rapporter la cause qui produit ce que l’on appelle communément des pétrifications, lesquelles ne diffèrent des incrustations que par cette pénétration dans tous les vides et interstices de l’intérieur des matières végétales ou animales, à mesure qu’elles se décomposent ou pourrissent.

  1. « Entre les diverses couches que l’on perce en fouillant la terre, il en est plusieurs qui sont le plus heureusement et le plus prochainement disposées à la fécondité ; il suffit, en les mélangeant, de les exposer aux influences de l’air et à l’aspect du ciel pour les rendre végétales… Telles sont non seulement les marnes, mais les craies et les argiles, qui, par des mélanges appropriés aux différents sols, leur communiquent une force de végétation si vigoureuse et si durable… Dans ces dépôts précieux, que la nature ne semble avoir cachés à quelque profondeur que pour les réserver à nos besoins, sont amassés les éléments les plus précieux à l’espèce humaine… N’allons donc plus, loin de la douce vue du ciel, arracher l’or du sein déchiré de la terre… Les vrais trésors sont sous nos pas : ce sont ces terres douces et fécondes qu’il faut apporter au jour, dont il faut couvrir nos champs, et qui vont renouveler un sol épuisé par nos déprédations et languissant sous nos mains avides. » Extrait du Système de la Fertilisation, par M. l’abbé Bexon ; ouvrage que j’ai déjà cité (t. II, p. 393) comme offrant, dans sa brièveté, les vues les plus étendues et les plus profondes.