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bonne qualité que la première. On peut même se servir de la craie crue pour faire du mortier, en la mêlant avec la chaux, car elle est de même nature que le gravier calcaire, dont elle ne diffère que par la petitesse de ses grains. La craie que l’on connaît sous le nom de blanc d’Espagne est l’une des plus fines, des plus pures et des plus blanches ; on l’emploie pour dernier enduit sur les autres mortiers. Cette craie fine ne se trouve pas en grandes couches ni même en bancs, mais dans les fentes des rochers calcaires et sur la pente des collines crétacées ; elle y est conglomérée en pelotes plus ou moins grosses, et quand cette craie fine est encore plus atténuée, elle forme d’autres concrétions d’une substance encore plus légère, auxquelles les naturalistes ont donné le nom de lac lunæ[1] (nom très impropre, puisqu’il ne désigne qu’un rapport chimérique), medulla saxi (qui ne convient guère mieux, puisque le mot saxum, traduit par ces mêmes naturalistes, ne désigne pas la pierre calcaire, mais le roc vitreux) ; cette matière serait donc mieux désignée par le nom de fleur de craie, car ce n’est en effet que la partie la plus ténue de la craie que l’eau détache et dépose ensuite dans les cavités qu’elle rencontre. Et lorsque ce dépôt, au lieu de se faire eu masses, ne se fait qu’en superficie, cette même matière prend la forme de lames et d’écailles, auxquelles ces mêmes nomenclateurs[2] en minéralogie ont donné le nom d’agaric minéral (ce qui n’est fondé que sur une fausse analogie).

Les hommes, avant d’avoir construit des maisons, ont habité les cavernes ; ils se sont mis à l’abri des rigueurs de l’hiver et de la trop grande ardeur de l’été, en se réfugiant dans les antres des rochers, et lorsque cette commodité leur a manqué, ils ont cherché à se la procurer aux moindres frais possibles, en faisant des galeries et des excavations dans les matières les moins dures, telles que la craie. Le nom de Troglodytes, habitants des cavernes, donné aux peuples les plus antiques, en est la preuve, aussi bien que le grand nombre de ces grottes que l’on voit encore aux Indes, en Arabie, et dans tous les climats où le soleil est brûlant et l’ombrage rare. La plupart de ces grottes ont été travaillées de main d’homme, et souvent agrandies au point de former de vastes habitations souterraines, où il ne manque que la facilité de recevoir le jour, car du reste elles sont saines, et, dans ces climats chauds, fraîches sans humidité. On voit même dans nos coteaux et collines de craie des excavations à rez-de-chaussée, pratiquées avec avantage et moins de dépense qu’il n’en faudrait pour construire des murs et des voûtes, et les blocs tirés de ces excavations servent de matériaux pour bâtir les étages supérieurs. La craie des lits inférieurs est en effet une espèce de pierre assez tendre dans sa carrière, mais qui se durcit à l’air, et qu’on peut employer non seulement pour bâtir, mais aussi pour les ouvrages de sculpture.

La craie n’est pas si généralement répandue que la pierre calcaire dure ; ses couches, quoique très étendues en superficie, ont rarement autant de profondeur que celles des autres pierres, et, dans cinquante ou soixante pieds de hauteur perpendiculaire, on voit souvent tous les degrés du plus ou moins de solidité de la craie ; elle est ordinairement en poussière ou en moellon très tendre dans le lit supérieur ; elle prend plus de consistance à mesure qu’elle est située plus bas ; et comme l’eau la pénètre jusqu’à la plus grande profondeur, et se charge des molécules crétacées les plus fines, elle produit non seulement les pelotes de blanc d’Espagne, de moelle de pierre[3] et de fleur de craie,

  1. Wormius et plusieurs autres après lui.
  2. Ferrante Imperati et d’autres après lui.
  3. On a aussi nommé cette moelle de pierre ou de craie farina mineralis, parce qu’elle ressemble à la farine par sa blancheur et sa légèreté, et qu’on a même prétendu, mais fort mal à propos, qu’elle peut devenir un aliment en la mêlant avec de la farine de grain. Éphémérides d’Allemagne, dec. iii, observation 219.