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fusion, que ce nom ne doit s’appliquer qu’à une terre mêlée de craie et d’argile, ou de craie et de terre limoneuse, et que la craie est au contraire une matière simple, produite par le seul détriment des substances purement calcaires.

Ces dépôts de poudre coquilleuse ont formé des couches épaisses et souvent très étendues, comme on le voit dans la province de Champagne, dans les falaises de Normandie, dans l’Île-de-France, à la Roche-Guyon, etc. ; et ces couches composées de poussières légères, ayant été déposées les dernières, sont exactement horizontales, et prennent rarement de l’inclinaison, même dans leurs lits les plus bas, où elles acquièrent plus de dureté que dans les lits supérieurs : cette même différence de solidité s’observe dans toutes les carrières anciennement formées par les sédiments des eaux de la mer. La masse entière de ces bancs calcaires était également molle dans le commencement ; mais les couches inférieures, formées avant les autres, se sont consolidées les premières, et en même temps elles ont reçu par infiltration toutes les particules pierreuses que l’eau a détachées et entraînées des lits supérieurs : cette addition de substance a rempli les intervalles et les pores des pierres inférieures, et a augmenté leur densité et leur dureté à mesure qu’elles se formaient et prenaient de la consistance par la réunion de leurs propres parties. Cependant la dureté des matières calcaires est toujours inférieure à celle des matières vitreuses qui n’ont point été altérées ou décomposées par l’eau : les substances coquilleuses, dont les pierres calcaires tirent leur origine, sont par leur nature d’une consistance plus molle et moins solide que les matières vitreuses ; mais quoiqu’il n’y ait point de pierres calcaires aussi dures que le quartz ou les jaspes, quelques-unes, comme les marbres, le sont néanmoins assez pour recevoir un beau poli.

La craie, même la plus durcie, n’est susceptible que du poli gras que prennent les matières tendres, et se réduit au moindre effort en une poussière semblable à la poudre des coquilles ; mais quoiqu’une grande partie des craies ne soit en effet que le débris immédiat de la substance des coquilles, on ne doit pas borner à cette seule cause la production de toutes les couches de craie qui se trouvent à la surface de la terre ; elles ont, comme les sables vitreux, une double origine ; car la quantité de la matière coquilleuse réduite en poussière s’est très considérablement augmentée par les détriments et les exfoliations qui ont été détachés de la surface des masses solides de pierres calcaires par l’impression des éléments humides ; l’établissement local de ces masses calcaires paraît en plusieurs endroits avoir précédé celui des couches de craie. Par exemple, le grand terrain crétacé de la Champagne commence au-dessous de Troyes et finit au delà de Rethel, ce qui fait une étendue d’environ quarante lieues, sur dix ou douze de largeur moyenne ; et la montagne de Reims qui fait saillie sur ce terrain n’est pas de craie, mais de pierre calcaire dure : il en est de même du mont Aimé, qui est isolé au milieu de ces plaines de craie, et qui est également composé de bancs de pierres dures très différentes de la craie, et qui sont semblables aux pierres des montagnes situées de l’autre côté de Vertus et de Bergères. Ces montagnes de pierre dure paraissent donc avoir surmonté de tout temps les collines et les plaines où gisent actuellement les craies, et dès lors on peut présumer que ces couches de craie ont été formées, du moins en partie, par les exfoliations et les poussières de pierre calcaire que les éléments humides auront détachées de ces montagnes, et que les eaux auront entraînées dans les lieux plus bas où gît actuellement la craie. Mais cette seconde cause de la production des craies est subordonnée à la première, et même dans plusieurs endroits de ce grand terrain crétacé la craie présente sa première origine et paraît purement coquilleuse ; elle se trouve composée ou remplie de coquilles entières parfaitement conservées, comme on le voit à Courtagnon et ailleurs ; en sorte qu’on ne peut douter que l’établissement local de ces couches de craie mêlée de coquilles ne se soit fait dans le sein de la mer et par le mouvement de ses eaux. D’ailleurs, on trouve souvent les dépôts ou lits de craie surmontés par d’autres matières qui n’ont pu être amenées que par alluvion,