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Comme ce mot solidité a plusieurs acceptions, il faut voir nettement le sens dans lequel je l’emploie ici : solide et solidité se disent en géométrie relativement à la grandeur, et se prennent pour le volume du corps ; solidité se dit souvent en physique relativement à la densité, c’est-à-dire à la masse contenue sous un volume donné ; solidité se dit quelquefois encore relativement à la dureté, c’est-à-dire à la résistance que font les corps lorsque nous voulons les entamer. Or, ce n’est dans aucun de ces sens que j’emploie ici ce mot, mais dans une acception qui devrait être la première, parce qu’elle est la plus propre. J’entends uniquement par solidité la qualité opposé à la fluidité, et je dis que c’est en raison inverse de cette qualité que se fait le progrès de la chaleur dans la plupart des corps, et qu’ils s’échauffent ou se refroidissent d’autant plus vite qu’ils sont beaucoup plus fluides, et d’autant plus lentement qu’ils sont plus solides, toutes les autres circonstances étant égales d’ailleurs.

Et, pour prouver que la solidité prise dans ce sens est tout à fait indépendante de la densité, j’ai trouvé par expérience que des matières plus ou moins denses s’échauffent et se refroidissent plus promptement que d’autres matières plus ou moins denses ; que, par exemple, l’or et le plomb, qui sont beaucoup plus denses que le fer et le cuivre, néanmoins s’échauffent et se refroidissent aussi beaucoup plus vite, et que l’étain et le marbre, qui sont au contraire moins denses, s’échauffent et se refroidissent plus promptement que d’autres qui sont beaucoup moins denses ou plus denses ; en sorte que la densité n’est nullement relative à l’échelle du progrès de la chaleur dans les corps solides.

Et, pour le prouver de même dans les fluides, j’ai vu que le mercure qui est treize ou quatorze fois plus dense que l’eau, néanmoins s’échauffe et se refroidit en moins de temps que l’eau ; et que l’esprit-de-vin, qui est moins dense que l’eau, s’échauffe et se refroidit aussi plus vite que l’eau ; en sorte que généralement le progrès de la chaleur dans les corps, tant pour l’entrée que pour la sortie, n’a aucun rapport à leur densité, et se fait principalement en raison de leur fluidité, en étendant la fluidité jusqu’au solide, c’est-à-dire en regardant la solidité comme une non-fluidité plus ou moins grande. De là j’ai cru devoir conclure que l’on connaîtrait en effet le degré réel de fluidité dans les corps en les faisant chauffer à la même chaleur ; car leur fluidité sera dans la même raison que celle du temps pendant lequel ils recevront et perdront cette chaleur ; et il en sera de même des corps solides : ils seront d’autant plus solides, c’est-à-dire d’autant plus non-fluides, qu’il leur faudra plus de temps pour recevoir cette même chaleur et la perdre ; et cela presque généralement, à ce que je présume, car j’ai déjà tenté ces expériences sur un grand nombre de matières différentes, et j’en ai fait une table que j’ai tâché de rendre aussi complète et aussi exacte qu’il m’a été possible, et qu’on trouvera dans le Mémoire suivant.