Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 2.pdf/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cent-cinquante-quatrième partie de son poids ; et trois pouces, qui pesait vingt-quatre onces cinq gros treize grains, ayant été chauffé pendant dix-huit minutes, c’est-à-dire presque autant que le fer, n’a perdu que soixante-dix-huit grains, ce qui ne fait que la cent quatre-vingt et unième partie de son poids. Ces pertes sont si petites, qu’on pourrait les regarder comme nulles, et assurer en général que le grès pur ne perd rien de sa pesanteur au feu : car il m’a paru que ces petites diminutions que je viens de rapporter ont été occasionnées par les parties ferrugineuses qui se sont trouvées dans ces grès, et qui ont été en partie détruites par le feu.

Une chose plus générale et qui mérite bien d’être remarquée, c’est que les durées de la chaleur dans différentes matières exposées au même feu, pendant un temps égal, sont toujours dans la même proportion, soit que le degré de chaleur soit plus grand ou plus petit ; en sorte, par exemple, que si on chauffe le fer, le grès et la glaise à un feu violent, et tel qu’il faille quatre-vingts minutes pour refroidir le fer au point de pouvoir le toucher, quarante-six minutes pour refroidir le grès au même point, et trente-huit minutes pour refroidir la glaise, et qu’à une chaleur moindre il ne faille, par exemple, que dix-huit minutes pour refroidir le fer à ce même point de pouvoir le toucher avec la main, il ne faudra proportionnellement qu’un peu plus de dix minutes pour refroidir le grès, et environ huit minutes et demie pour refroidir la glaise à ce même point.

J’ai fait de semblables expériences sur des globes de marbre, de pierre, de plomb et d’étain, à une chaleur telle seulement que l’étain commençait à fondre, et j’ai trouvé que le fer se refroidissant en dix-huit minutes au point de pouvoir le tenir à la main, le marbre se refroidit au même point en douze minutes, la pierre en onze, le plomb en neuf, et l’étain en huit minutes.

Ce n’est donc pas proportionnellement à leur densité, comme on le croit vulgairement[1], que les corps reçoivent et perdent plus ou moins vite la chaleur, mais dans un rapport bien différent et qui est en raison inverse de leur solidité, c’est-à-dire de leur plus ou moins grande non-fluidité ; en sorte qu’avec la même chaleur, il faut moins de temps pour échauffer ou refroidir le fluide le plus dense qu’il n’en faut pour échauffer ou refroidir au même degré le solide le moins dense. Je donnerai dans les Mémoires suivants le développement entier de ce principe, duquel dépend toute la théorie du progrès de la chaleur ; mais pour que mon assertion ne paraisse pas vaine, voici en peu de mots le fondement de cette théorie.

J’ai trouvé, par la vue de l’esprit, que les corps qui s’échaufferaient en raison de leurs diamètres ne pourraient être que ceux qui seraient parfaitement perméables à la chaleur, et que ce seraient en même temps ceux qui s’échaufferaient ou se refroidiraient en moins de temps. Dès lors j’ai pensé que les fluides dont toutes les parties ne se tiennent que par un faible lien approchaient plus de cette perméabilité parfaite que les solides dont les parties ont beaucoup plus de cohésion que celles des fluides.

En conséquence, j’ai fait des expériences par lesquelles j’ai trouvé qu’avec la même chaleur, tous les fluides, quelque denses qu’ils soient, s’échauffent et se refroidissent plus promptement qu’aucun solide, quelque léger qu’il soit ; en sorte, par exemple, que le mercure, comparé avec le bois, s’échauffe beaucoup plus promptement que le bois, quoiqu’il soit quinze ou seize fois plus dense.

Cela m’a fait reconnaître que le progrès de la chaleur dans les corps ne devait en aucun cas se faire relativement à leur densité ; et en effet j’ai trouvé, par l’expérience, que, tant dans les solides que dans les fluides, ce progrès se fait plutôt en raison de leur fluidité, ou, si l’on veut, en raison inverse de leur solidité.

  1. Voyez la Chimie de Boerhaave. Partie première, p. 266 et 267, et aussi 160, 264 et 267. — Musschenbroek, Essais de physique, p. 94 et 969, etc.