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On voit que cette perte sur chacun des boulets est extrêmement considérable, et qu’elle paraît aller en augmentant à mesure que les boulets sont plus gros, ce qui vient, à ce que je présume, de ce que l’on est obligé d’appliquer le feu violent d’autant plus longtemps que les corps sont plus grands ; mais en tout cette perte de poids, non seulement est occasionnée par le détachement des parties de la surface qui se réduisent en scories, et qui tombent dans le feu, mais encore par une espèce de dessèchement ou de calcination intérieure qui diminue la pesanteur des parties constituantes du fer ; en sorte qu’il paraît que le feu violent rend le fer spécifiquement plus léger à chaque fois qu’on le chauffe. Au reste, j’ai trouvé par des expériences ultérieures que cette diminution de pesanteur varie beaucoup selon la différente qualité du fer.

Ayant donc fait faire six nouveaux boulets depuis un demi-pouce jusqu’à trois pouces de diamètre, et du même poids que les premiers, j’ai trouvé les mêmes progressions tant pour l’entrée que pour la sortie de la chaleur, et je me suis assuré que le fer s’échauffe et se refroidit en effet comme je viens de l’exposer.

Un passage de Newton[1] a donné naissance à ces expériences.

« Globus ferri candentis, digitum unum latus, calorem suum omnem spatio horæ unius in aere consistens vix amitteret. Globus autem major calorem diutiùs conservaret in ratione diametri, proptereà quod superficies (ad cujus mensuram per contactum aeris ambientis refrigeratur) in illà ratione minor est pro quantitate materiæ suæ calidæ inclusæ. Ideòque globus ferri candentis huic terræ aequalis, id est, pedes plus minus 40000000 latus, diebus totidem et idcircò annis 50000, vix refrigesceret. Suspicor tamen quòd duratio caloris ob causas latentes augeatur in minori ratione quàm eà diametri ; et optarim rationem veram per experimenta investigari. »

Newton désirait donc qu’on fît les expériences que je viens d’exposer, et je me suis déterminé à les tenter non seulement parce que j’en avais besoin pour des vues semblables aux siennes, mais encore parce j’ai cru m’apercevoir que ce grand homme pouvait s’être trompé en disant que la durée de la chaleur devait n’augmenter, par l’effet des causes cachées, qu’en moindre raison que celle du diamètre ; il m’a paru au contraire en y réfléchissant que ces causes cachées ne pouvaient que rendre cette raison plus grande au lieu de la faire plus petite.

Il est certain, comme le dit Newton, qu’un globe plus grand conserverait sa chaleur plus longtemps qu’un plus petit en raison du diamètre, si on supposait ces globes composés d’une matière parfaitement perméable à la chaleur, en sorte que la sortie de la chaleur fût absolument libre, et que les particules ignées ne trouvassent aucun obstacle qui pût les arrêter ni changer le cours de leur direction : ce n’est que dans cette supposition mathématique que la durée de la chaleur serait en effet en raison du diamètre ; mais les causes cachées dont parle Newton, et dont les principales sont les obstacles qui résultent de la perméabilité non absolue, imparfaite et inégale de toute matière solide, au lieu de diminuer le temps de la durée de la chaleur, doivent au contraire l’augmenter ; cela m’a paru si clair, même avant d’avoir tenté mes expériences, que je serais porté à croire que Newton, qui voyait clair aussi jusque dans les choses même qu’il ne faisait que soupçonner, n’est pas tombé dans cette erreur, et que le mot minori ratione au lieu de majori, n’est qu’une faute de sa main ou de celle d’un copiste qui s’est glissée dans toutes les éditions de son ouvrage, du moins dans toutes celles que j’ai pu consulter : ma conjecture est d’autant mieux fondée que Newton paraît dire ailleurs précisément le contraire de ce qu’il dit ici,

    lume et diminué de poids ; enfin sur quarante mille boulets chauffés et râpés pour les réduire au calibre des canons, on a perdu dix mille, c’est-à-dire, un quart, en sorte qu’à tous égards cette pratique est mauvaise.

  1. Princip. mathem. Londres, 1726, p. 509.