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de l’attraction, et même toute autre loi physique, ne peut jamais être exprimée que par un seul terme, et qu’une nouvelle vérité de cette espèce peut prévenir un grand nombre d’erreurs et de fausses applications dans les sciences physico-mathématiques, j’ai cherché plusieurs moyens de la démontrer.

On a vu dans mon Mémoire les raisons métaphysiques par lesquelles j’établis que la mesure d’une qualité physique et générale dans la nature est toujours simple ; que la loi qui représente cette mesure ne peut donc jamais être composée ; qu’elle n’est réellement que l’expression de l’effet simple d’une qualité simple ; que l’on ne peut donc exprimer cette loi par deux termes, parce qu’une qualité qui est une ne peut jamais avoir deux mesures. Ensuite, dans l’Addition à ce Mémoire, j’ai prouvé démonstrativement cette même vérité par la réduction à l’absurde et par le calcul ; ma démonstration est vraie, car il est certain en général que si l’on exprime la loi de l’attraction par une fonction de la distance, et que cette fonction soit composée de deux ou plusieurs termes, comme 1/xm ± 1/xn ± 1/xr, etc., et que l’on égale cette fonction à une quantité constante A pour une certaine distance, il est certain, dis-je, qu’en résolvant cette équation la racine x aura des valeurs imaginaires dans tous les cas, et aussi des valeurs réelles différentes dans presque tous les cas, et que ce n’est que dans quelques cas, comme dans celui de 1/x² ± 1/x = A, où il y aura deux racines réelles égales, dont l’une sera positive et l’autre négative ; cette exception particulière ne détruit donc pas la vérité de ma démonstration, qui est pour une fonction quelconque : car si en général l’expression de la loi d’attraction est 1/xx + mxn, l’exposant n ne peut pas être négatif et plus grand que 2, puisque nécessairement alors la pesanteur deviendrait infinie dans le point de contact ; l’exposant n est donc positif, et le coefficient m doit être négatif pour faire avancer l’apogée de la lune : par conséquent, le cas particulier 1/x² ± 1/x ne peut jamais représenter la loi de la pesanteur ; et si on se permet une fois d’exprimer cette loi par une fonction de deux termes, pourquoi le second de ces termes serait-il nécessairement positif ? Il y a, comme l’on voit, beaucoup de raisons pour que cela ne soit pas, et aucune raison pour que cela soit.

Dès le temps que M. Clairaut proposa pour la première fois de changer la loi de l’attraction et d’y ajouter un terme, j’avais senti l’absurdité qui résultait de cette supposition, et l’avais fait mes efforts pour la faire sentir aux autres ; mais j’ai depuis trouvé une nouvelle manière de la démontrer qui ne laissera, à ce que j’espère, aucun doute sur ce sujet important. Voici mon raisonnement, que j’ai abrégé autant qu’il m’a été possible :

Si la loi de l’attraction, ou telle autre loi physique que l’on voudra, pouvait être exprimée par deux ou plusieurs termes, le premier terme étant, par exemple, 1/xx, il serait nécessaire que le second terme eût un coefficient indéterminé, et qu’il fût, par exemple, 1/mx ; et de même, si cette loi était exprimée par trois termes, il y aurait deux coefficients indéterminés, l’un au second et l’autre au troisième terme, etc. ; dès lors cette loi d’attraction qui serait exprimée par deux termes, 1/xx ± 1/mx renfermerait donc une quantité m, qui entrerait nécessairement dans la mesure de la force.

Or, je demande ce que c’est que ce coefficient m : il est clair qu’il ne dépend ni de la masse ni de la distance ; que ni l’une ni l’autre ne peuvent jamais donner sa valeur : comment peut-on donc supposer qu’il y ait en effet une telle quantité physique ? Existe-t-il dans la nature un coefficient comme un 4, un 5, un 6, etc., et n’y a-t-il pas de l’absurdité à supposer qu’un nombre puisse exister réellement ou qu’un coefficient puisse être une qualité essentielle à la matière ? Il faudrait pour cela qu’il y eût dans la nature des phénomènes purement numériques et du même genre que ce coefficient m ; sans cela il est impossible d’en déterminer la valeur, puisqu’une quantité quelconque ne peut jamais être mesurée que par une autre quantité du même genre ; il faut donc que M. Clairaut commence par nous prouver que les nombres sont des êtres réels actuellement existants dans la nature, ou que les coefficients sont des qualités physiques, s’il veut que nous