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M. Clairaut admette nécessairement un autre force différente de l’attraction, s’il emploie deux termes pour représenter l’effet total de la force centrale d’une planète.

Je ne sais comment on peut imaginer qu’une loi physique, telle qu’est celle de l’attraction, puisse être exprimée par deux termes par rapport aux distances, car s’il y avait, par exemple, une masse M dont la vertu attractive fut exprimée par aa/xx + b/x, n’en résulterait-il pas le même effet que si cette masse était composée de deux matières différentes, comme, par exemple, de 1/2 M, dont la loi d’attraction fût exprimée par 2aa/xx et de 1/2 M, dont l’attraction fût 2b/x ? cela me paraît absurde.

Mais indépendamment de ces impossibilités qu’implique la supposition de M. Clairault qui détruit aussi l’unité de loi sur laquelle est fondée la vérité et la belle simplicité du système du monde, cette supposition souffre bien d’autres difficultés que M. Clairaut devait, ce me semble, se proposer avant que de l’admettre, et commencer au moins par examiner d’abord toutes les causes qui pourraient produire le même effet. Je sens que si j’eusse résolu, comme M. Clairaut, le problème des trois corps, et que j’eusse trouvé que la théorie de la gravitation ne donne en effet que la moitié du mouvement de l’apogée, je n’en aurais pas tiré la conclusion qu’il en tire contre la loi de l’attraction ; aussi est-ce cette conclusion que je contredis, et à laquelle je ne crois pas qu’on soit obligé de souscrire, quand même M. Clairaut aurait pu démontrer l’insuffisance de toutes les autres causes particulières.

Newton dit, tome III, page 547 : « In bis computationibus attractionem magneticam terræ non consideravi, cujus itaque quantitas perparva est et ignoratur ; si quandò verò hæc attractio investigari poterit, et mensura graduum in meridiano, ac longitunes pendulorum isochronorum in diversis parallelis, legesque motuum maris et parallaxis lunæ cum diametris apparentibus solis et lunæ ex phæmomenis accuratiùs determinatæ fuerint, licebit calculum hunc omnem accuratiùs repetere. » Ce passage ne prouve-t-il pas clairement que Newton n’a pas prétendu avoir fait l’énumération de toutes les causes particulières, et n’indiquerait-il pas en effet que si on trouve quelques différences avec sa théorie et les observations, cela peut venir de la force magnétique de la terre ou de que autre cause secondaire, et par conséquent si le mouvement des apsides ne s’accorde pas aussi exactement avec sa théorie que le reste, faudra-t-il pour cela ruiner sa théorie par le fondement, en changeant la loi générale de la gravitation ? ou plutôt ne faudra-t-il pas attribuer à d’autres causes cette différence qui ne se trouve que dans ce seul phénomène ? M. Clairaut a proposé une difficulté contre le système de Newton, mais ce n’est tout au plus qu’une difficulté qui ne doit ni ne peut devenir un principe, il faut chercher à la résoudre et non pas en faire une théorie dont toutes les conséquences ne sont appuyées que sur un calcul ; car, comme je l’ai dit, on peut tout représenter avec un calcul, et on ne réalise rien ; et si on se permet de mettre un ou plusieurs termes à la suite de l’expression d’une loi physique, comme l’est celle de l’attraction, on ne nous donne plus que l’arbitraire au lieu de nous représenter la réalité.

Au reste, il me suffit d’avoir établi les raisons qui me font rejeter la supposition de M. Clairaut ; celles que j’ai de croire que, bien loin qu’il ait pu donner atteinte à la loi de l’attraction et renverser l’astronomie physique, elle me paraît au contraire demeurer dans toute sa vigueur et avoir des forces pour aller encore bien loin, et cela sans que je prétende avoir dit, à beaucoup près, tout ce qu’on peut dire sur cette matière, à laquelle je désirerais qu’on donnât sans prévention toute l’attention qu’il faut pour la bien juger.