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bilités, cette théorie doit subsister puisqu’il y a un nombre très considérable de choses où elle s’accorde parfaitement avec la nature, qu’il n’y a qu’un seul cas où elle en diffère, et qu’il est fort aisé de se tromper dans l’énumération des cause d’un seul phénomène particulier. Il me paraît donc que la première idée qui doit se présenter est qu’il faut chercher la raison particulière de ce phénomène singulier, et il me semble qu’on pourrait en imaginer quelqu’une ; par exemple, si la force magnétique de la terre pouvait, comme le dit Newton, entrer dans le calcul, on trouverait peut-être qu’elle influe sur le mouvement de la lune, et qu’elle pourrait produire cette accélération dans le mouvement de l’apogée, et c’est dans ce cas où en effet il faudrait employer deux termes pour exprimer la mesure des forces qui produisent le mouvement de la lune. Le premier terme de l’expression serait toujours celui de la loi de l’attraction universelle, c’est-à-dire la raison inverse et exacte du carré de la distance, et le second terme représenterait la mesure de la force magnétique.

Cette supposition est sans doute mieux fondée que celle de M. Clairaut, qui me paraît plus hypothétique, et sujette d’ailleurs à des difficultés invincibles : exprimer la loi d’attraction par deux ou plusieurs termes, ajouter à la raison inverse du carré de la distance une fraction du carré-carré, au lieu de 1/xx mettre 1/xx + 1/mx, me paraît n’être autre chose que d’ajuster une expression de telle façon qu’elle corresponde à tous les cas ; ce n’est plus une loi physique que cette expression représente, car en se permettant une fois de mettre un second, un troisième, un quatrième terme, etc., on pourrait trouver une expression qui, dans toutes les lois d’attraction, représenterait les cas dont il s’agit, en l’ajustant en même temps aux mouvements de l’apogée de la lune et aux autres phénomènes ; et par conséquent cette supposition, si elle était admise, non seulement anéantirait la loi de l’attraction en raison inverse du carré de la distance, mais même donnerait entrée à toutes les lois possibles et imaginables : une loi en physique n’est loi que parce que sa mesure est simple, et que l’échelle qui la représente est non seulement toujours la même, mais encore qu’elle est unique, et qu’elle ne peut être représentée par une autre échelle ; or, toutes les fois que l’échelle d’une loi ne sera pas représentée par un seul terme, cette simplicité et cette unité d’échelle, qui fait l’essence de la loi, ne subsiste plus, et par conséquent il n’y a plus aucune loi physique.

Comme ce dernier raisonnement pourrait paraître n’être que de la métaphysique, et qu’il y a peu de gens qui la sachent apprécier, je vais tâcher de le rendre sensible en m’expliquant davantage. Je dis donc que toutes les fois qu’on voudra établir une loi sur l’augmentation ou la diminution d’une qualité ou d’une quantité physique, on est strictement assujetti à n’employer qu’un terme pour expliquer cette loi : ce terme est la représentation de la mesure qui doit varier, comme en effet la quantité à mesurer varie ; en sorte que si la quantité, n’étant d’abord qu’un pouce, devient ensuite une aune, une toise, une lieue, etc., le terme qui l’exprime devient successivement toutes ces choses, ou plutôt les représente dans le même ordre de grandeur, et il en est de même de toutes les disons dans lesquelles une quantité peut varier.

De quelque façon que nous puissions donc supposer qu’une qualité physique puisse varier, comme cette qualité est une, sa variation sera simple et toujours exprimable par un seul terme qui en sera la mesure ; et dès qu’on voudra employer deux termes, on détruira l’unité de la qualité physique, parce que ces deux termes représenteront deux variations différentes dans la même qualité, c’est-à-dire deux qualités au lieu d’une : deux termes sont en effet deux mesures, toutes deux variables et inégalement variables, et dès lors elles ne peuvent être appliquées à un sujet simple, à une seule qualité ; et si on admet deux termes pour représenter l’effet de la force centrale d’un astre, il est nécessaire d’avouer qu’au lieu d’une force il y en a deux, dont l’une sera relative au premier terme, et l’autre relative au second terme, d’où l’on voit évidemment qu’il faut, dans le cas présent, que