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ne sont pas immobiles comme le demande la supposition géométrique, sur laquelle est fondé le résultat qu’on a trouvé de la raison inverse du carré de la distance pour la mesure de la force d’attraction dans les planètes.

À cela il y a plusieurs manières de répondre : d’abord on pourrait dire que la loi s’observant généralement dans toutes les autres planètes avec exactitude, un seul phénomène où cette même exactitude ne se trouve pas ne doit pas détruire cette loi ; on peut le regarder comme une exception dont on doit rechercher la raison particulière. En second lieu, on pourrait répondre, comme l’a fait M. Cotes, que, quand même on accorderait que la loi d’attraction n’est pas exactement, dans ce cas, en raison inverse du carré de la distance, et que cette raison est un peu plus grande, cette différence peut s’estimer par le calcul, et qu’on trouvera qu’elle est presque insensible, puisque la raison de la force centripète de la lune, qui de toutes est celle qui doit être la plus troublée, approche soixante fois plus près de la raison du carré que la raison du cube de la distance : « Responderi potest, etiamsi concedamus hunc motum tardissimum exindè profectum quòd vis centripetæ proportio aberret aliquantulùm a duplicatà, aberrationem illam per computum mathematicum inveniri posse, et planè insensibilem esse ; ista enim ratio vis centripetæ lunaris, quæ omnium maximè turbari debet, paululùm quidem duplicatam superabit ; ad hanc vero sexaginta ferè vicibus propius accedet quàm ad triplicatam. Sed verior erit responsio, etc. » Editoris præf. in edit. 2 Newton. Auctores Roger Cotes.

Et, en troisième lieu, on doit répondre plus positivement que ce mouvement des apsides ne vient point de ce que la loi d’attraction est un peu plus grande que dans la raison inverse du carré de la distance, mais de ce qu’en effet le soleil agit sur la lune par une force d’attraction qui doit troubler son mouvement et produire celui des apsides, et que par conséquent cela seul pourrait bien être la cause qui empêche la lune de suivre exactement la règle de Képler. Newton a calculé dans cette vue les effets de cette force perturbatrice, et il a tiré de sa théorie les équations et les autres mouvements de la lune avec une telle précision, qu’ils répondent très exactement et à quelques secondes près aux observations faites par les meilleurs astronomes ; mais, pour ne parler que du mouvement des apsides, il fait sentir dès la xlve proposition du premier livre que la progression de l’apogée de la lune vient de l’action du soleil ; en sorte que jusqu’ici tout s’accorde, et sa théorie se trouve aussi vraie et aussi exacte dans tous les cas les plus compliqués comme dans ceux qui le sont moins.

Cependant un de nos grands géomètres a prétendu[1] que la quantité absolue du mouvement de l’apogée ne pouvait pas se tirer de la théorie de la gravitation telle qu’elle est établie par Newton, parce qu’en employant les lois de cette théorie on trouve que ce mouvement ne devrait s’achever qu’en dix-huit ans, au lieu qu’il s’achève en neuf ans. Malgré l’autorité de cet habile mathématicien et les raisons qu’il a données pour soutenir son opinion, j’ai toujours été convaincu, comme je le suis encore aujourd’hui, que la théorie de Newton s’accorde avec les observations ; je n’entreprendrai pas ici de faire l’examen qui serait nécessaire pour prouver qu’il n’est pas tombé dans l’erreur qu’on lui reproche, je trouve qu’il est plus court d’assurer la loi de l’attraction telle qu’elle est, et de faire voir que la loi que M. Clairaut a voulu substituer à celle de Newton n’est qu’une supposition qui implique contradiction.

Car admettons pour un instant ce que M. Clairaut prétend avoir démontré, que, par la théorie de l’attraction mutuelle, le mouvement des apsides devrait se faire en dix-huit ans, au lieu de se faire en neuf ans, et souvenons-nous en même temps qu’à l’exception de ce phénomène, tous les autres, quelque compliqués qu’ils soient, s’accordent dans cette même théorie très exactement avec les observations : à en juger d’abord par les proba-

  1. M. Clairaut. Voyez les Mémoires de l’Académie des sciences, année 1745.