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N’avons-nous pas, par ce même élément, trouvé le moyen d’abréger le temps en divisant les corps par une fusion aussi prompte que leur division serait lente par tout autre moyen ? etc.

Mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue que la nature ne puisse faire et ne fasse réellement, par le moyen de l’eau, tout ce que nous faisons par celui du feu. Pour le voir clairement, il faut considérer que la décomposition de toute substance ne pouvant se faire que par la division, plus cette division sera grande, et plus la décomposition sera complète ; le feu semble diviser autant qu’il est possible les matières qu’il met en fusion ; cependant on peut douter si celles que l’eau et les acides tiennent en dissolution ne sont pas encore plus divisées, et les vapeurs que la chaleur élève ne contiennent-elles pas des matières encore plus atténuées ? Il se fait donc dans l’intérieur de la terre, au moyen de la chaleur qu’elle renferme et de l’eau qui s’y insinue, une infinité de sublimations, de distillations, de cristallisations, d’agrégations, de disjonctions de toute espèce. Toutes les substances peuvent être avec le temps composées et décomposées par ces moyens ; l’eau peut les diviser et en atténuer les parties autant et plus que le feu lorsqu’il les fond, et ces parties atténuées, divisées à ce point, se joindront, se réuniront de la même manière que celles du métal fondu se réunissent en se refroidissant. Pour nous faire mieux entendre, arrêtons-nous un instant sur la cristallisation : cet effet, dont les sels nous ont donné l’idée, ne s’opère jamais que quand une substance, étant dégagée de toute autre substance, se trouve très divisée et soutenue par un fluide qui, n’ayant avec elle que peu ou point d’affinité, lui permet de se réunir et de former, en vertu de sa force d’attraction, des masses d’une figure à peu près semblable à la figure de ses parties primitives ; cette opération, qui suppose toutes les circonstances que je viens d’énoncer, peut se faire par l’intermède du feu aussi bien que par celui de l’eau, et se fait très souvent par le concours des deux, parce que tout cela ne suppose ou n’exige qu’une division assez grande de la matière, pour que ses parties primitives puissent, pour ainsi dire, se trier et former, en se réunissant, des corps figurés comme elles : or, le feu peut tout aussi bien, et mieux qu’aucun autre dissolvant, amener plusieurs substances à cet état, et l’observation nous le démontre dans les régules, dans les amiantes, les basaltes et autres productions du feu dont les figures sont régulières, et qui toutes doivent être regardées comme de vraies cristallisations.

Et ce degré de grande division, nécessaire à la cristallisation, n’est pas encore celui de la plus grande division possible ni réelle, puisque dans cet état les petites parties de la matière sont encore assez grosses pour constituer une masse qui, comme toutes les autres masses, n’obéit qu’à la seule force attractive, et dont les volumes, ne se touchant que par des points, ne peuvent acquérir la force répulsive, qu’une beaucoup plus grande division ne manquerait pas d’opérer par un contact plus immédiat, et c’est aussi ce que l’on voit arriver dans les effervescences, où tout d’un coup la chaleur et la lumière sont produites par le mélange de deux liqueurs froides. Ce degré de division de la matière est ici fort au-dessus du degré nécessaire à la cristallisation, et l’opération s’en fait aussi rapidement que l’autre s’exécute avec lenteur.

La lumière, la chaleur, le feu, l’air, l’eau, les sels, sont les degrés par lesquels nous venons de descendre du haut de l’échelle de la nature à sa base, qui est la terre fixe ; et ce sont en même temps les seuls principes que l’on doive admettre et combiner pour l’explication de tous les phénomènes. Ces principes sont réels, indépendants de toute hypothèse et de toute méthode ; leur conversion, leur transformation est tout aussi réelle, puisqu’elle est démontrée par l’expérience. Il en est de même de l’élément de la terre : il peut se convertir en se volatilisant, et prendre la forme des autres éléments, comme ceux-ci prennent la sienne en se fixant. Mais de la même manière que les parties primitives du feu, de l’air ou de l’eau ne formeront jamais seules des corps ou des masses qu’on puisse regarder comme du feu, de l’air ou de l’eau purs, de même il me paraît très inutile de chercher dans les matières terrestres une substance de terre pure : la fixité, l’homogénéité, l’éclat