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d’acides et d’alcalis, nous montrent qu’en général il y a plus de terre et moins d’eau dans ces derniers sels, et au contraire plus d’eau et moins de terre dans les premiers.

Néanmoins l’eau, quoique intimement mêlée dans les sels, n’y est ni fixée ni réunie une force assez grande pour la transformer en matière solide comme dans la pierre calcaire ; elle réside dans le sel ou dans son acide sous sa forme primitive, et l’acide le mieux concentré, le plus dépouillé d’eau, qu’on pourrait regarder ici comme de la terre liquide, ne doit cette liquidité qu’à la quantité de l’air et du feu qu’il contient ; toute liquidité et même toute fluidité suppose la présence d’une certaine quantité de feu ; et quand on attribuerait celle des acides à un reste d’eau qu’on ne peut en séparer, quand même on pourrait les réduire tous sous une forme concrète, il n’en serait pas moins vrai que leurs saveurs, ainsi que les odeurs et les couleurs, ont toutes également pour principe celui de la force expansive, c’est-à-dire la lumière et les émanations de la chaleur et du feu, car il n’y a que ces principes actifs qui puissent agir sur nos sens et les affecter d’une manière différente et diversifiée selon les vapeurs ou particules des différentes substances qu’ils apportent et nous présentent : c’est donc à ces principes qu’on doit rapporter non seulement la liquidité des acides, mais aussi leur saveur. Une expérience que j’ai eu occasion de faire un grand nombre de fois m’a pleinement convaincu que l’alcali est produit par le feu ; la chaux faite à la manière ordinaire et mise sur la langue, même avant d’être éteinte par l’air ou par l’eau, a une saveur qui indique déjà la présence d’une certaine quantité d’alcali. Si l’on continue le feu, cette chaux, qui a subi une plus longue calcination devient plus piquante sur la langue, et celle que l’on tire des fourneaux de forges où la calcination dure cinq ou six mois de suite, l’est encore davantage. Or, ce sel n’était pas contenu dans la pierre avant sa calcination ; il augmente en force ou en quantité à mesure que le feu est appliqué plus violemment et plus longtemps à la pierre, il est donc le produit immédiat du feu et de l’air qui se sont incorporés dans sa substance pendant la calcination, et qui par ce moyen sont devenus parties fixes de cette pierre de laquelle ils ont chassé la plus grande partie des molécules d’eau, liquides et solides, qu’elle contenait auparavant. Cela seul me paraît suffisant pour prononcer que le feu est le principe de la formation de l’alcali minéral, et l’on doit en conclure, par analogie, que les autres alcalis doivent également leur formation à la chaleur constante de l’animal et du végétal dont on les tire.

À l’égard des acides, la démonstration de leur formation par le feu et l’air fixes, quoique moins immédiate que celle des alcalis, ne m’en paraît pas moins certaine : nous avons prouvé que le nitre et le phosphore tirent leur origine des matières végétales et animales, que le vitriol tire la sienne des pyrites, des soufres et des autres matières combustibles ; on sait d’ailleurs que ces acides, soit vitrioliques, ou nitreux, ou phosphoriques, contiennent toujours une quantité d’alcali : on doit donc rapporter leur formation et leur saveur au même principe, et, réduisant tous les acides à un seul acide et tous les alcalis à un seul alcali, ramener tous les sels à une origine commune, et ne regarder leurs différences de saveurs et leurs propriétés particulières et diverses que comme le produit varié des différentes quantités de terre, d’eau, et surtout d’air et de feu fixes qui sont entrées dans leur composition. Ceux qui contiendront le plus de ces principes actifs d’air et de feu seront ceux qui auront le plus de puissance et le plus de saveur. J’entends par puissance la force dont les sels nous paraissent animés pour dissoudre les autres substances : on sait que la dissolution suppose la fluidité, qu’elle ne s’opère jamais entre deux matières sèches ou solides, et que par conséquent elle suppose aussi dans le dissolvant le principe de la fluidité, c’est-à-dire le feu ; la puissance du dissolvant sera donc d’autant plus grande, d’une part il contiendra ce principe actif en plus grande quantité, et que d’autre part ses parties aqueuses et terreuses auront plus d’affinité avec les parties de même espèce contenues dans les substances à dissoudre : et comme les degrés d’affinité dépendent absolument