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matières calcaires dont on doit rapporter l’origine aux animaux, et d’autre part toutes les matières combustibles qui ne proviennent que des substances animales ou végétales ; elles occupent ensemble un assez grand espace à la surface de la terre, et l’on peut juger par leur volume immense combien la nature vivante a travaillé pour la nature morte, car ici le brut n’est que le mort.

Mais les matières calcaires et les substances combustibles, quelque grand qu’en soit le nombre, quelque immense que nous en paraisse le volume, ne font qu’une très petite portion du globe de la terre, dont le fond principal et la majeure et très majeure quantité consiste en une matière de la nature du verre, matière qu’on doit regarder comme l’élément terrestre, à l’exclusion de toutes les autres substances auxquelles elle sert de base comme terre, lorsqu’elles se forment par le moyen ou par le détriment des animaux, des végétaux et par la transformation des autres éléments. Non seulement cette matière première, qui est la vraie terre élémentaire, sert de base à toutes les autres substances, et en constitue les parties fixes, mais elle est en même temps le terme ultérieur auquel on peut les ramener et les réduire toutes. Avant de présenter les moyens que la nature et l’art peuvent employer pour opérer cette espèce de réduction de toute substance en verre, c’est-à-dire en terre élémentaire, il est bon de rechercher si les moyens que nous avons indiqués sont les seuls par lesquels l’eau puisse se transformer en substance solide ; il me semble que le filtre animal la convertissant en pierre, le filtre végétal peut également la transformer lorsque toutes les circonstances se trouvent être les mêmes ; la chaleur propre des animaux à coquille étant un peu plus grande que celle des végétaux, et les organes de la vie plus puissants que ceux de la végétation, le végétal ne pourra produire qu’une petite quantité de pierres qu’on trouve assez souvent dans son fruit ; mais il peut convertir, et convertit réellement en sa substance une grande quantité d’air et une quantité encore plus grande d’eau ; la terre fixe qu’il s’approprie, et qui sert de base à ces deux éléments, est en si petite quantité, qu’on peut assurer, sans craindre de se tromper, qu’elle ne fait pas la centième partie de sa masse : dès lors le végétal n’est presque entièrement composé que d’air et d’eau transformés en bois, substance solide qui se réduit ensuite en terre par la combustion ou la putréfaction[NdÉ 1]. On doit dire la même chose des animaux : ils fixent

  1. Ce passage est un de ceux dans lesquels Buffon expose le plus clairement ses idées sur le phénomène que l’on a désigné plus récemment sous le nom de circulation de la matière. D’après sa manière de voir, les végétaux prennent dans le milieu ambiant de l’air et de l’eau qu’ils transforment en bois, puis le bois, sous l’influence de la combustion ou de la putréfaction, se transforme en terre. Celle-ci n’est donc, en réalité, qu’un produit de transformation de l’air et de la terre. Il est inutile de faire remarquer la fausseté de cette théorie. La seule chose qu’il faille en retenir, c’est l’effort fait par Buffon pour expliquer le fait le plus intéressant peut-être qu’il soit donné à la science d’étudier. Diderot exprimait la même préoccupation dans son Entretien entre Diderot et d’Alembert, etc. « Je voudrais bien, fait-il dire à d’Alembert, que vous me disiez quelle différence vous mettez entre l’homme et la statue, entre le marbre et la chair » ; et Diderot de répondre : « Assez peu. On fait du marbre avec de la chair et de la chair avec du marbre… Je prends la statue que vous voyez et je la mets dans un mortier, et… lorsque le bloc de marbre est réduit en une poudre impalpable, je mêle cette poudre à l’humus ou terre végétale ; je les pétris bien ensemble ; j’arrose le mélange ; je le laisse putréfier un an, deux ans, un siècle, le temps ne me fait rien. Lorsque le tout s’est transformé en une matière homogène, ou humus, savez-vous ce que je fais ? J’y sème des pois, des fèves, des choux. Les plantes se nourrissent de la terre et je me nourris des plantes. » D’Alembert réplique : « Vrai ou faux, j’aime ce passage du marbre à l’humus, de l’humus au règne végétal et du règne végétal au règne animal, à la chair. »

    Il était réservé à la science moderne de résoudre le grave problème soulevé par le naturaliste et par le philosophe du XVIIIe siècle, ou du moins d’indiquer les termes principaux de