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L’expérience m’a même appris que la vapeur de l’eau peut entretenir et augmenter le feu, comme le fait l’air ordinaire[NdÉ 1], et cet air, que nous pourrions regarder comme pur, est toujours mêlé avec une très grande quantité d’eau ; mais il faut remarquer comme chose importante que la proportion du mélange n’est pas, à beaucoup près, la même dans ces deux éléments. L’on peut dire en général qu’il y a beaucoup moins d’air dans l’eau que dans l’air ; seulement, il faut considérer qu’il y a deux unités très différentes, auxquelles on pourrait rapporter les termes de cette proportion : ces deux unités sont le volume et la masse. Si on estime la quantité d’air contenue dans l’eau par le volume, elle paraîtra nulle, puisque le volume de l’eau n’en est point du tout augmenté ; et de même l’air plus ou moins humide ne nous paraît pas changer de volume, cela n’arrive que quand il est plus ou moins chaud : ainsi, ce n’est point au volume qu’il faut rapporter cette proportion, c’est à la masse seule, c’est-à-dire à la quantité réelle de matière dans l’un et dans l’autre de ces deux éléments, qu’on doit comparer celle de leur mélange, et l’on verra que l’air est beaucoup plus aqueux que l’eau n’est aérienne peut-être dans la proportion de la masse, c’est-à-dire huit cent cinquante fois davantage. Quoi qu’il en soit de cette estimation, qui est peut-être ou trop forte ou trop faible, nous pouvons en tirer l’induction que l’eau doit se changer plus aisément en air que l’air ne peut se transformer en eau. Les parties de l’air, quoique susceptibles d’être extrêmement divisées, paraissent être plus grosses que celles de l’eau, puisque celle-ci passe à travers plusieurs filtres que l’air ne peut pénétrer ; puisque, quand elle est raréfiée par la chaleur, son volume, quoique fort augmenté, n’est qu’égal ou un peu plus grand que celui des parties de l’air à la surface de la terre, car les vapeurs de l’eau ne s’élèvent dans l’air qu’à une certaine hauteur ; enfin, puisque l’air semble s’imbiber d’eau comme une éponge, la contenir en grande quantité, et que le contenant est nécessairement plus grand que le contenu. Au reste, l’air, qui s’imbibe si volontiers de l’eau, semble la rendre de même lorsqu’on lui présente des sels ou d’autres substances avec lesquelles l’eau a encore plus d’affinité qu’avec lui. L’effet que chimistes appellent défaillance, et même celui des efflorescences, démontrent non seulement qu’il y a une très grande quantité d’eau contenue dans l’air, mais encore que cette eau n’y est attachée que par une simple affinité, qui cède aisément à une affinité plus grande, et qui même cesse d’agir sans être combattue ou balancée par aucune autre affinité, mais par la seule raréfaction de l’air, puisqu’il se dégage de l’eau dès qu’elle cesse d’être pressée par le poids de l’atmosphère, sous le récipient de la machine pneumatique.

Dans l’ordre de la conversion des éléments, il me semble que l’eau est pour l’air ce que l’air est pour le feu, et que toutes les transformations de la nature dépendent de celles-ci. L’air, comme aliment du feu, s’assimile avec lui et se transforme en ce premier élément ; l’eau, raréfiée par la chaleur, se transforme en une espèce d’air capable d’alimenter le feu comme l’air ordinaire ; ainsi le feu a un double fonds de subsistance assurée ; s’il consomme beaucoup d’air, il peut aussi en produire beaucoup par la raréfaction de l’eau, et réparer ainsi dans la masse de l’atmosphère toute la quantité qu’il en détruit, tandis qu’ultérieurement il se convertit lui-même en matière fixe dans les substances terrestres qu’il pénètre par sa chaleur ou par sa lumière.

Et de même que, d’une part, l’eau se convertit en air ou en vapeurs aussi volatils que l’air par sa raréfaction, elle se convertit en une substance solide par une espèce de condensation différente des condensations ordinaires. Tout fluide se raréfie par la chaleur et se condense par le froid ; l’eau suit elle-même cette loi commune, et se condense à mesure qu’elle refroidit ; qu’on en remplisse un tube de verre jusqu’aux trois quarts, on la verra descendre à mesure que le froid augmente, et se condenser comme font tous les autres

  1. Pour cela, il faut qu’il y ait de l’air contenu dans l’eau ou bien que l’eau se décompose et que son oxygène soit mis en liberté.