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si l’on expose l’eau à la congélation, on voit cet air sortir de son intérieur et se réunir à sa surface en bulles élastiques[NdÉ 1]. Ceci seul suffirait pour prouver que l’air n’est pas contenu dans l’eau sous sa forme ordinaire, puisque, étant spécifiquement huit cent cinquante fois plus léger, il serait forcé d’en sortir par la seule nécessité de la prépondérance de l’eau ; il est donc évident que l’air contenu dans l’eau n’y est pas dans son état ordinaire, c’est-à-dire de pleine élasticité, et en même temps il est démontré que cet état dans lequel il réside dans l’eau n’est pas celui de sa plus grande fixité, où son ressort absolument détruit ne peut se rétablir que par la combustion, puisque la chaleur ou le froid peuvent également le rétablir ; il suffit de faire chauffer ou geler de l’eau pour que l’air qu’elle contient reprenne son élasticité et s’élève en bulles sensibles à sa surface, il s’en dégage de même lorsque l’eau cesse d’être pressée par le poids de l’atmosphère sous le récipient de la machine pneumatique ; il n’est donc pas contenu dans l’eau sous une forme fixe, mais seulement dans un état moyen où il peut aisément reprendre son ressort ; il n’est pas simplement mêlé dans l’eau, puisqu’il ne peut y résider sous sa forme élastique, mais aussi il ne lui est pas intimement uni sous sa forme fixe, puisqu’il s’en sépare plus aisément que de toute autre matière.

On pourra m’objecter avec raison que le froid et le chaud n’ont jamais opéré de la même façon ; que si l’une de ces causes rend à l’air son élasticité, l’autre doit la détruire, et j’avoue que, pour l’ordinaire, le froid et le chaud produisent des effets différents ; mais, dans la substance particulière que nous considérons, ces deux causes, quoique opposées, donnent le même effet : on pourra le concevoir aisément en faisant attention à la chose même et au rapport de ses circonstances. L’on sait que l’eau, soit gelée, soit bouillie, reprend l’air qu’elle avait perdu dès qu’elle se liquéfie ou qu’elle se refroidit ; le degré d’affinité de l’air avec l’eau dépend donc en grande partie de celui de sa température ; ce degré, dans son état de liquidité, est à peu près le même que celui de la chaleur générale à la surface de la terre ; l’air, avec lequel elle a beaucoup d’affinité, la pénètre aussitôt qu’elle est divisée en parties très ténues, et le degré de la chaleur élémentaire et générale suffit pour affaiblir le ressort de ces petites parties, au point de le rendre sans effet tant que l’eau conserve cette température ; mais si le froid vient à la pénétrer, ou, pour parler plus précisément, si ce degré de chaleur nécessaire à cet état de l’air vient à diminuer, alors son ressort, qui n’est pas entièrement détruit, se rétablira par le froid, et l’on verra les bulles élastiques s’élever à la surface de l’eau prête à se congeler. Si, au contraire, l’on augmente le degré de la température de l’eau par une chaleur extérieure, on en divise trop les parties intégrantes, on les rend volatiles, et l’air, qui ne leur était que faiblement uni, s’élève et s’échappe avec elles ; car il faut se rappeler que, quoique l’eau prise en masse soit incompressible et sans aucun ressort, elle est très élastique dès qu’elle est divisée ou réduite en petites parties ; et en ceci elle paraît être d’une nature contraire à celle de l’air, qui n’est compressible qu’en masse et qui perd son ressort dès qu’il est trop divisé. Néanmoins l’air et l’eau ont beaucoup plus de rapports entre eux que de propriétés opposées, et comme je suis très persuadé que toute la matière est convertible, et que les quatre éléments peuvent se transformer, je serais porté à croire que l’eau peut se changer en air lorsqu’elle est assez raréfiée pour se changer en vapeurs, car le ressort de la vapeur de effet l’eau est aussi et même plus puissant que le ressort de l’air ; on voit le prodigieux produit de cette puissance dans les pompes à feu, on voit la terrible explosion qu’elle lorsqu’on laisse tomber du métal fondu sur quelques gouttes d’eau ; et si l’on ne veut pas convenir avec moi que l’eau puisse dans cet état de vapeurs se transformer en air, on ne pourra du moins nier qu’elle n’en ait alors les principales propriétés.

  1. L’air qui se dégage, quand on fait congeler de l’eau, est de l’air tenu en dissolution dans l’eau, à l’état d’air, quoi qu’en dise Buffon.