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et des insectes de 11 à 12, c’est-à-dire la moindre de toutes, et à très peu près la même que celle des végétaux. Ainsi le degré de chaleur dans l’homme et dans les animaux dépend de la force et de l’étendue des poumons[NdÉ 1] : ce sont les soufflets de la machine animale, ils en entretiennent et augmentent le feu selon qu’ils sont plus ou moins puissants, et que leur mouvement est plus ou moins prompt. La seule difficulté est de concevoir comment ces espèces de soufflets (dont la construction est aussi supérieure à celle de nos soufflets d’usage que la nature est au-dessus de nos arts), peuvent porter l’air sur le feu qui nous anime[NdÉ 2] : feu dont le foyer paraît assez indéterminé, feu qu’on n’a pas même voulu qualifier de ce nom parce qu’il est sans flamme, sans fumée apparente, et que sa chaleur n’est que très médiocre et assez uniforme. Cependant si l’on considère que la chaleur et le feu sont des effets et même des éléments du même ordre ; si l’on se rappelle que la chaleur raréfie l’air, et qu’en étendant son ressort elle peut l’affaiblir au point de le rendre sans effet, on pourra penser que cet air tiré par nos poumons s’y raréfiant beaucoup doit perdre son ressort dans les bronches et dans les petites vésicules, où il ne peut pénétrer qu’en petit volume, et en bulles dont le ressort, déjà très étendu, sera bientôt détruit par la chaleur du sang artériel et veineux : car ces vaisseaux du sang ne sont séparés des vésicules pulmonaires qui reçoivent l’air que par des cloisons si minces, qu’elles laissent aisément passer cet air dans le sang, où il ne peut manquer de produire le même effet que sur le feu commun, parce que le degré de chaleur de ce sang est plus que suffisant pour détruire en entier l’élasticité des particules d’air, les fixer et les entraîner sous cette nouvelle forme dans toutes les voies de la circulation. Le feu du corps animal ne diffère du feu commun que du moins au plus, le degré de chaleur est moindre : dès lors il n’y a point de flamme, parce que les vapeurs qui s’élèvent et qui représentent la fumée de ce feu n’ont pas assez de chaleur pour s’enflammer ou devenir ardentes, et qu’étant d’ailleurs mêlées de beaucoup de parties humides qu’elles enlèvent avec elles, ces vapeurs ou cette fumée ne peuvent ni s’allumer ni brûler[1] : tous les autres effets sont

  1. J’ai fait une grande expérience au sujet de l’inflammation de la fumée. J’ai rempli de charbon sec et conservé à couvert depuis plus de six mois deux de mes fourneaux, qui ont également 14 pieds de hauteur, et qui ne diffèrent dans leur construction que par les proportions des dimensions en largeur, le premier contenant juste un tiers de plus que le second. J’ai rempli l’un avec 1 200 livres de ce charbon, et l’autre avec 800 livres, et j’ai adapté au plus grand un tuyau d’aspiration, construit avec un châssis de fer, garni de tôle, qui avait 13 pouces en carré sur 10 pieds de hauteur ; je lui avais donné 13 pouces sur les quatre côtés, pour qu’il remplît exactement l’ouverture supérieure du fourneau, qui était carrée, et qui avait 13 pouces 1/2 de toutes faces ; avant de remplir ces fourneaux, on avait préparé dans le bas une petite cavité en forme de voûte, soutenue par des bois secs, sous lesquels on mit le feu au moment qu’on commença de charger de charbon ; ce feu, qui d’abord était vif, se ralentit à mesure qu’on chargeait, cependant il subsista toujours sans s’éteindre, et lorsque les fourneaux furent remplis en entier, j’en examinai le progrès et le produit, sans le remuer et sans y rien ajouter ; pendant les six premières heures, la fumée qui avait commencé à s’élever au moment qu’on avait commencé de charger, était très humide, ce que je reconnaissais aisément par les gouttes d’eau qui paraissaient sur les parties extérieures du tuyau d’aspiration, et ce tuyau n’était encore au bout de six heures que médiocrement chaud, car je pouvais le toucher aisément. On laissa le feu, le tuyau et les fourneaux pendant toute la nuit dans cet état ; la fumée, continuant toujours, devint si abondante, si épaisse et si noire que le lendemain, en arrivant à mes forges, je crus qu’il y
  1. Pour parler plus exactement, il faut dire que le degré de chaleur dépend de l’activité de la respiration.
  2. Les poumons ne portent pas l’air « sur le feu qui nous anime » ; ils servent à l’introduction dans le sang de l’oxygène qui produit « le feu », ou mieux la chaleur animale.