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en hiver celle de l’atmosphère, j’ai observé sur un grand nombre de gros arbres coupés dans un temps froid que leur intérieur était très sensiblement chaud, et que cette chaleur durait pendant plusieurs minutes après leur abattage[NdÉ 1] : ce n’est pas le mouvement violent de la cognée ou le frottement brusque et réitéré de la scie qui produisent seuls cette chaleur : car en fendant ensuite ce bois avec des coins, j’ai vu qu’il était chaud à deux ou trois pieds de distance de l’endroit où l’on avait placé les coins, et que par conséquent il avait un degré de chaleur assez sensible dans tout son intérieur. Cette chaleur n’est que très médiocre tant que l’arbre est jeune et qu’il se porte bien ; mais dès qu’il commence à vieillir, le cœur s’échauffe par la fermentation de la sève, qui n’y circule plus avec la même liberté ; cette partie du centre prend en s’échauffant une teinte rouge qui est le premier indice du dépérissement de l’arbre et de la désorganisation du bois ; j’en ai manié des morceaux dans cet état qui étaient aussi chauds que si on les eut fait chauffer au feu[NdÉ 2]. Si les observateurs n’ont pas trouvé qu’il y eût aucune différence entre la température de l’air et la chaleur des végétaux, c’est qu’ils ont fait leurs observations en mauvaise saison, et qu’ils n’ont pas fait attention qu’en été la chaleur de l’air est aussi grande et plus grande que celle de l’intérieur d’un arbre, tandis qu’en hiver c’est tout le contraire : ils ne se sont pas souvenus que les racines ont constamment au moins le degré de chaleur de la terre qui les environne, et que cette chaleur de l’intérieur de la terre est pendant tout l’hiver considérablement plus grande que celle de l’air et de la surface de la terre refroidie par l’air ; ils ne se sont pas rappelé que les rayons du soleil tombant trop vivement sur les feuilles et sur les autres parties délicates des végétaux, non seulement les échauffent, mais les brûlent, qu’ils échauffent de même à un très grand degré l’écorce et le bois dont ils pénètrent la surface, dans laquelle ils s’amortissent et se fixent ; ils n’ont pas pensé que le mouvement seul de la sève, déjà chaude, est une cause nécessaire de chaleur, et que ce mouvement venant à augmenter par l’action du soleil ou d’une autre chaleur extérieure, celle des végétaux doit être d’autant plus grande que le mouvement de leur sève est plus accéléré, etc. Je n’insiste si longtemps sur ce point qu’à cause de son importance, l’uniformité du plan de la nature serait violée si ayant accordée à tous les animaux un degré de chaleur supérieur à celui des matières brutes, elle l’avait refusé aux végétaux qui, comme les animaux, ont leur espèce de vie[NdÉ 3].

Mais ici l’air contribue encore à la chaleur animale et vitale, comme nous avons vu haut qu’il contribuait à l’action du feu dans la combustion et la calcination des matières combustibles et calcinables[NdÉ 4]. Les animaux qui ont des poumons, et qui par conséquent respirent l’air, ont toujours plus de chaleur que ceux qui en sont privés ; et plus la

    édition in-12. Paris, 1751. — « On ne découvre au toucher aucun degré de chaleur dans les plantes, soit dans leurs larmes, soit dans le cœur de leur tiges. » Bacon, Nov. Organ., 11, 12.

  1. Les végétaux possèdent, en effet, une chaleur propre qui est, comme celle des animaux, due aux oxydations et autres combinaisons chimiques qui se produisent dans leurs éléments anatomiques.
  2. Il faut distinguer la chaleur qui se dégage du bois mort et pourrissant de celle des végétaux vivants. La première est due aux phénomènes chimiques qui se produisent dans la putréfaction ; la seconde est la conséquence de la respiration. Toutes les deux cependant ont cela de commun qu’elles sont produites par des oxydations et autres combinaisons chimiques ; la nature seule des produits est différente.
  3. Pensée d’une très grande justesse.
  4. Buffon avait bien vu que l’air est nécessaire à la calcination, à la combustion et à l’entretien de la chaleur animale, mais il ignore absolument la façon dont il agit ; de là, dans tout ce passage, qui est fort remarquable et qui dénote une puissance considérable d’induction, des obscurités profondes.